Turquie: Les pleins pouvoirs à portée de main pour Erdogan Turquie: Les pleins pouvoirs à portée de main pour Erdogan Turquie: Les pleins pouvoirs à portée de main pour Erdogan
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Turquie: Les pleins pouvoirs à portée de main pour Erdogan

Publié le 20 avril 2018,
par Reuters.
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ISTANBUL (Reuters) – L’annonce mercredi par le président turc Recep Tayyip Erdogan d’élections anticipées au mois de juin prochain a pris de court l’opposition et rapproche le dirigeant de son objectif ultime: un régime présidentiel dans lequel il disposerait d’un pouvoir exécutif étendu.

Le projet de réforme constitutionnel proposé par Erdogan pour passer d’un régime parlementaire à un régime présidentiel a été approuvé de justesse l’an dernier par référendum, mais les nouvelles prérogatives du chef de l’Etat n’entreront en vigueur qu’après le prochain scrutin.

De même que le référendum, les élections présidentielle et législatives avancées au 24 juin se dérouleront sous l’état d’urgence, instauré après la tentative de coup d’Etat de juillet 2016.

Plusieurs alliés de la Turquie et des membres de l’opposition ont fait part de leur inquiétude concernant l’équité de ces scrutins organisés sous l’état d’urgence.

Erdogan, rompu à l’exercice électoral et premier président turc élu au suffrage universel, domine la vie politique depuis que le Parti de la Justice et du Développement (AKP), d’inspiration islamique, est arrivé au pouvoir en 2002.

Politicien le plus populaire du pays, le chef de l’Etat est apprécié pour avoir défendu la classe ouvrière musulmane et construit de nombreuses infrastructures – aéroports, hôpitaux et écoles – au cours de plus d’une décennie de croissance économique.

Ses adversaires, eux, ne se trouvent pas dans les meilleures dispositions pour le défier.

Neuf membres du Parti démocratique des peuples (HDP), mouvement pro-kurde et deuxième parti d’opposition, ont été écroués ou placés en détention préventive.

Le Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, n’a toujours pas choisi de candidat. Son dirigeant, Kemal Kilicdaroglu, estime que le chef de l’Etat ne peut pas diriger aussi un parti.

Seule l’ancienne ministre de l’Intérieur Meral Aksener a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, mais le Iyi Parti (le Bon Parti), qu’elle a lancé pour concurrencer l’AKP, n’a que quelques mois d’existence et pourrait ne pas pouvoir présenter de candidats aux législatives.

 

« TOUS LES ATOUTS DE SON CÔTÉ »

Erdogan a déclaré que le pays devait adopter d’urgence un régime présidentiel afin de faire face aux défis économiques, aux menaces liées au réseau auquel Ankara impute le putsch manqué de 2016 et aux événements en Syrie.

Les observateurs ne s’attendent pas à ce que la croissance vertigineuse du pays, qui été de 7,4% l’année dernière, perdure jusqu’en novembre 2019, date originelle des élections.

« Erdogan a tous les atouts de son côté: la croissance économique, l’état d’urgence qu’il a utilisé pour réprimer l’opposition et un contrôle presque intégral de la presse », estime Soner Cagaptay, chercheur au Washington Institute.

L’élection présidentielle du mois de juin offrira au vainqueur un pouvoir presque sans précédent depuis la création de la République turque, il y a près d’un siècle.

« Ce sera la fin d’un exécutif bicéphale. Erdogan sera le chef de l’Etat, le chef du gouvernement, de la police, de l’armée et du parti au pouvoir », a souligné Cagaptay.

La réforme de la Constitution turque a été critiquée par le Conseil de l’Europe, selon lequel ces changements pourraient faire basculer la Turquie vers un régime autoritaire.

« La Turquie a besoin d’une démocratie constitutionnelle progressiste dont le gouvernement est activement impliqué dans la représentation des intérêts du peuple », estime David Philipps, directeur du programme de consolidation de la paix et des droits à l’université Columbia.

Pour Bekir Bozdag, porte-parole du gouvernement, le passage au régime présidentiel marquera « le début d’une nouvelle ère ». Les élections anticipées donneront « une grande impulsion à l’économie et lèveront les incertitudes », a-t-il ajouté.

Si des rumeurs d’élections anticipées étaient apparues ces derniers mois, peu prévoyaient qu’elles auraient lieu dès juin.

« Erdogan a choisi l’option nucléaire (…) parce que c’est la plus efficace pour qu’il soit réélu », a estimé Aaron Stein, analyste au Conseil de l’Atlantique, basé à Washington.

Quelques heures après l’annonce de la tenue d’élections anticipées, le parlement a voté la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence, qui sera donc en vigueur pendant les scrutins.

« Sous l’état d’urgence, il est difficile d’organiser une élection complètement libre, équitable et transparente », a jugé la porte-parole du département d’Etat américain, soulignant les inquiétudes de Washington à propos de l’un de ses alliés.

Le HDP, dont 11 parlementaires ont été privés de leur statut depuis les élections de 2015, a estimé que les prochaines échéances se tiendraient dans un pays en « psychologie de guerre » à cause de l’état d’urgence et de la censure des médias.

Selon les derniers sondages, Erdogan est crédité de 55% d’intentions de vote.

« Erdogan n’a désormais plus qu’une issue: gagner, gagner et encore gagner des élections », a estimé Soner Cagaptay.

par Dominic Evans et David Dolan

(Avec Gulsen Solaker et Ece Toksabay, Jean Terzian pour le service français)