Coup d’arrêt pour la Samaritaine : reflet d'un immobilisme national ?
C’est une véritable douche froide que le Tribunal administratif a infligé au groupe LVMH, ainsi qu’à la Mairie de Paris, le 13 mai 2014. En estimant que la façade en verre sérigraphié, prévue pour habiller le bâtiment rénové de la Samaritaine, ne correspondait pas aux critères esthétiques du quartier, le chantier se retrouve à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre. Depuis, l’ampleur des réactions démontre à quel point la transformation de la Capitale s’avère être un sujet hautement polémique.
Ne répondant pas aux normes de sécurité, le bâtiment de la Samaritaine, situé dans le 1er arrondissement, soit en plein cœur de Paris, a fermé ses portes en 2005. Fleuron de l’architecture Art déco, symbole d’une certaine qualité de la vie parisienne, l’œuvre des architectes Frantz Jourdain et Henri Sauvage jouit d’un potentiel extraordinaire : ses 70 000 m² excitent les projets de transformation et de réaménagement. Dès 2007 le groupe LVMH, propriétaire des lieux, dévoile un plan de réhabilitation ambitieux, prévu pour 2015. 26 400 m² seront alloués aux commerces et services, 96 logements sociaux occuperont une surface de 7 000 m², et une crèche accueillera 60 berceaux. En plus de cela, 20 000 m² de bureaux ainsi qu’un hôtel de prestige comptant 72 chambres seront aménagés. L’extérieur du bâtiment sera orné, côté rue de Rivoli, d’une façade en verre imaginée par le bureau d’architectes japonais Sanaa, lauréat du prix Pritzker, plus haute récompense dans le domaine architectural. Après des discussions serrées, la Mairie de Paris donne son accord, et va même jusqu’à modifier le PLU afin d’autoriser certaines transformations. Les travaux peuvent alors commencer.
Un chantier de grande ampleur
Ce projet de rénovation et de construction constitue par son envergure l’un des plus gros marché de la région parisienne . Son coût est évalué à 450 millions d’euros et est financé entièrement par le groupe LVMH. Le quart des façades doit être entièrement rénové, et le chantier, dont la durée devait s’étendre sur 36 mois, requérait l’embauche de 200 personnes. Une fois les travaux achevés et le bâtiment livré, 2 400 emplois devaient être crées.
Recours et « vigilance citoyenne »
Mais ni la Mairie de Paris, qui soutient le projet, ni le groupe LVMH n’avaient compté sur la consternante « combativité » de deux associations, SOS Paris et la SPPEF , Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France. Au cœur de la polémique : la destruction de bâtiments plusieurs fois centenaires ainsi que la nouvelle façade, qualifiée de « rideau de douche » défigurant la rue. Ces associations entendent lutter contre ce qu’elles considèrent comme une urbanisation farouche et non-respectueuse de l’architecture en place. Dans une lettre ouverte au Monde , Alexandre Gady, président de la SPPEF, expose ses arguments et défend un patrimoine malmené, faisant le rapprochement avec les années du « pompidolisme immobilier » triomphant.
L’attitude de la Ville de Paris est elle aussi montrée du doigt pour avoir accepté de modifier le PLU pour une société privée. Les détracteurs du projet estiment que cela constitue un cas de favoritisme, alors que des particuliers se doivent de subir ce même PLU sans aucun espoir d’en obtenir une modification favorable. Enfin, les détracteurs du projet rejettent une façade qui trancherait avec le paysage architectural en place, ainsi qu’une trop grande visibilité du bâtiment, que l’on pourra apercevoir depuis la perspective de l’Arc de Triomphe.
Bataille juridique
Le permis de construire avait été délivré en décembre 2012 par Bertrand Delanoë, après l’accord favorable donné par l’architecte des bâtiments de France et au terme d’une consultation internationale validée par un jury qualifié. D’où l’incompréhension suscitée par la décision du Tribunal administratif, qui, s’appuyant sur l’article 11 du PLU , estime dans son jugement que « l’ample façade de couleur blanche, de 73 mètres de long et 25 mètres de hauteur, quasiment dépourvue d’ouvertures, sans autre élément décoratif que les ondulations verticales du verre sérigraphié, ne s’insère pas dans le tissu urbain du quartier ». Et de rajouter qu’une telle façade « compromet l’insertion de la construction nouvelle dans une artère représentative de l’urbanisme du XIXe siècle ». Pourtant, une première ordonnance du Tribunal administratif avait, en juillet 2013, déclaré irrecevable la requête déposée par la SPPEF et SOS Paris, et les travaux de démolition des immeubles alentour avait pu commencer. C’est ainsi que des bâtiments datant des XVIIe et XVIIIe siècles ont été partiellement démolis. Il est à noter que ce jugement n’est pas suspensif.
« Une décision incompréhensible »
Pour les tenants du projet, le jugement du 13 mai a soulevé une véritable bronca. Nombreuses sont les réactions dénonçant un immobilisme préjudiciable pour l’emploi et pour le devenir même de Paris. La ville, qui a été rétrogradée à la sixième place du dernier classement PWC , pourrait bien devenir une ville musée et amorcer une inéluctable décadence. C’est du moins ce qu’affirme l’architecte Christian de Portzamparc, dans une tribune au journal Le Monde . Même son de cloche du côté du Conseil régional de l’ordre des architectes en Ile-de-France (Croaif), qui souligne que le XXe siècle a vu naitre le Centre Georges Pompidou, la pyramide du Louvre et le musée du quai Branly. Sans oublier le bâtiment de la Samaritaine, mêlant de manière si particulière les styles Art déco et Art nouveau.
En dehors des considérations voulant que Paris soit condamnée à ne subir aucune évolution architecturale, c’est aussi le verdict subjectif du juge qui est pointé du doigt. L’Unsfa (Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes) craint une remise en cause de la création architecturale. Un avis partagé par l’Académie d’architecture. Dans leur grande majorité, les architectes craignent que ce jugement ne fasse jurisprudence, ce qui constituerait « un dangereux frein à la créativité et à l’évolution architecturale » . La Ville de Paris, quant à elle, constate que de grandes capitales européennes ne rencontrent aucun obstacle pour dynamiser leur patrimoine architectural.
Des projets architecturaux difficiles à concrétiser
Quel sera l’avenir du bâtiment de la Samaritaine ? LVMH, ainsi que la Ville de Paris, ont annoncé qu’ils allaient faire appel, et, dans le cas d’une annulation de la décision, les travaux pourraient reprendre d’ici quatre à six mois. Mais un second refus mènerait à une longue procédure auprès de la Cour de cassation, qui pourrait durer plusieurs années, mettant en péril l’intégralité du projet. Tous les architectes et urbanistes gardent en mémoire le précédent de 2005, lorsque François Pinault, confronté à maintes difficultés, avait dû renoncer à son projet sur l’île Seguin pour finalement installer son musée d’art contemporain à Venise.