Au-delà de sa réélection, la question de l'après-Poutine se pose déjà
MOSCOU (Reuters) – La réélection pour six ans de Vladimir Poutine à la présidence russe dimanche prochain ne fait aucun doute mais la question qui devrait dominer son quatrième mandat est celle de sa succession en 2024.
Homme fort de la Russie depuis l’an 2000, Poutine ne peut normalement pas se représenter dans six ans, la Constitution interdisant plus de deux mandats présidentiels consécutifs.
Une situation déjà rencontrée en 2008, quand Poutine avait laissé la présidence à un fidèle, Dmitri Medvedev, pour prendre le poste de Premier ministre. A l’époque, le mandat présidentiel était de quatre ans. En 2012, Poutine est revenu à la tête de la Fédération, cette fois-ci pour six ans, avec Medvedev comme Premier ministre.
« C’est une nouvelle phase qui s’ouvre dans la vie politique russe », estime Gleb Pavlovski, ancien conseiller du Kremlin qui critique aujourd’hui le gouvernement. « Au sein de l’élite dirigeante, on parle moins du nouveau mandat que de l’après-Poutine », ajoute-t-il.
Pour Vygaudas Usackas, qui était ambassadeur de l’Union européenne en Russie jusqu’en octobre dernier, l’enjeu est d’importance.
« C’est un moment capital pour tout le système », dit l’ancien diplomate qui dirige aujourd’hui l’Institut de l’Europe à l’université de technologie de Kaunas, en Lituanie.
Trois grandes options se présentent à Vladimir Poutine.
La première: faire comme le président chinois Xi Jinping et supprimer de la Constitution la limitation des mandats présidentiels.
FACTIONS
La deuxième: comme en 2008, laisser la présidence à l’un de ses proches, avant de faire son retour en 2024.
Enfin, désigner un successeur et se retirer de la vie publique.
Des sources au Kremlin disent que rien n’a encore été décidé.
Le pouvoir russe, loin d’être monolithique, est partagé entre différentes factions aux intérêts parfois divergents que Poutine est parvenu jusqu’ici à contrôler et à concilier. Qu’en sera-t-il s’il s’en va, lui qui s’identifie depuis près de dix-huit ans avec ce pouvoir ?
Beaucoup ne peuvent imaginer son effacement de la vie politique. « On ne parle pas de sa succession. C’est comme si les gens pensaient qu’il est là pour toujours », dit un membre d’un cabinet ministériel.
Si Vladimir Poutine veut faire modifier la Constitution pour pouvoir effectuer un troisième mandat consécutif – il aura 71 ans lors de la prochaine élection en 2024 -, il lui faudra obtenir l’accord des deux tiers de la Douma d’Etat, la chambre basse du Parlement, et des trois quarts de la Chambre haute, le Conseil de la Fédération. Il devra aussi avoir l’assentiment des deux tiers des parlements des Républiques fédérées.
Les amis de Poutine disposent d’une large majorité dans toutes ces assemblées.
Pourtant, Vladimir Poutine a assuré qu’il ne voulait pas de cette solution. Pas question de changer la Constitution pour rester au pouvoir, a-t-il dit. Une position conforme à son attitude il y a dix ans.
Et tout comme en 2008, il pourrait pousser dans six ans un de ses hommes à la présidence. Là encore, le nom de Medvedev, qui a déjà fait ses preuves, paraît s’imposer.
LASSITUDE
« Qui pour succéder à Poutine ? Il n’y a que Medvedev parce que tout le monde a peur du changement », dit une source proche du gouvernement.
Mais se pose alors la question de l’âge. Si Poutine laisse la place à Medvedev entre 2024 et 2030, il aura 77 ans s’il compte ensuite reprendre la présidence.
Une source au Kremlin confie que le président a parfois du mal à cacher sa lassitude. Mais c’est moins dû à la fatigue, ajoute-t-il, qu’à son exaspération face à l’incompétence de certains…
Lors d’une rencontre en 2016, Poutine, qui ne se savait pas enregistré, confiait au président biélorusse Alexandre Loukachenko: « Je ne dors pas assez. Avant-hier, seulement quatre heures… Hier, cinq heures… »
S’il veut profiter pleinement de sa retraite, il doit trouver un successeur digne de confiance, capable de s’imposer et de maintenir le « système Poutine ». Mais aussi ne pas le désigner trop tôt, pour conserver toute sa crédibilité jusqu’à la fin de son mandat.
Au-delà d’une éventuelle solution provisoire avec Medvedev, aucun « héritier » ne sort du lot. Les noms qui circulent ne sont que pure spéculation car personne ne sait ce que pense l’actuel maître du Kremlin.
On parle notamment d’Igor Setchine, patron du groupe pétrolier Rosneft, du ministre de la Défense Sergueï Choïgou, d’Igor Dioumine, ancien garde du corps de Poutine devenu gouverneur régional, et du maire de Moscou Sergueï Sobianine.
« Plus il reste au pouvoir, plus la sortie sera difficile », commente Andreï Kolesnikov, du Centre Carnegie de Moscou, un groupe de réflexion. « Ce système, c’est avant tout SON système, et ce n’est pas évident de lâcher les rênes… »
par Christian Lowe et Olesya Astakhova
(Avec Polina Nikolskaya, Denis Pinchuk, Darya Korsunskaya, Oksana Kobzeva et Polina Devitt; Guy Kerivel pour le service français)