Averroès : le double visage de la vérité Averroès : le double visage de la vérité Averroès : le double visage de la vérité
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Averroès : le double visage de la vérité

Publié le 11 août 2014,
par VisionsMag.
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Juriste, médecin, philosophe, Averroès s’est fait connaître comme le grand commentateur de l’œuvre d’Aristote. Tout au long de sa vie, il n’aura de cesse de concilier foi et raison, tradition d’orient et d’occident. Une position qui lui vaudra d’être condamné à l’exil mais aussi de figurer parmi les grands penseurs du monde moderne.

C’est une scène du « Destin », film du réalisateur égyptien Youssef Chahine, récompensé au festival de Cannes. Averroès est adossé contre un pilier de la grande mosquée de Cordoue. Nous sommes à l’apogée de la civilisation arabo-andalouse. « La philosophie ne s’oppose pas à la loi divine » enseigne Averroès. Comme toujours le savant s’en prend à ceux qui sous couvert de religion prêchent l’obscurantisme. « Un homme ignorant qui apprend des versets par cœur et s’en sert comme fonds de commerce, cet homme-là peut-il être appelé sage ? ». Rapidement, les étudiants fuient la leçon, jugée blasphématoire. Les « hommes de Dieu » menacent. Averroès, imperturbable poursuit son enseignement. La vérité, il le sait, ne peut avoir qu’un seul visage.

Juge et médecin

Averroès, de son vrai nom, Ibn Rushd, est né à Cordoue en 1126. Son père appartient à l’élite intellectuelle de la capitale andalouse. C’est un cadi, un juge, spécialiste de la jurisprudence islamique. On lui doit un traité de droit comprenant pas moins de vingt volumes. Averroès reçoit dès son plus jeune âge, une éducation destinée à lui faire intégrer les plus hautes fonctions. Il apprend le droit, la théologie, les mathématiques, la médecine et la philosophie. Dans tous ces domaines, l’étudiant montre des capacités exceptionnelles.

La vie d’Averroès va se partager entre l’Andalousie et le Maroc. Ses connaissances théologiques lui valent d’occuper le poste de cadi, à Séville, puis de grand cadi à Cordoue. Sa réputation de médecin n’est pas moindre que celle de juge. En 1182, Abu Yacoub Almohade, calife de Marrakech le désigne comme son médecin personnel. Tout au long de cette carrière riche et mouvementée, il ne cessera d’écrire. Il laissera des dizaines de traités de référence aussi bien en médecine, qu’en théologie, astronomie et droit.

La vérité ne peut s’opposer à la vérité

Mais c’est à son œuvre de philosophe qu’Averroès doit sa réputation. C’est en 1169 que le Calife Ibn Yacoub Youssef lui confie la mission d’expliquer la philosophie d’Aristote. A l’époque, l’œuvre du philosophe grec est largement répandue dans le monde arabe. Elle est commentée aussi bien à Bagdad, qu’à Alexandrie ou à Cordoue. Averroès tente de retrouver la pensée originale du philosophe en écartant les traductions erronées, les fausses interprétations et les ajouts d’auteurs ultérieurs. C’est avec ses commentaires des traités d’Aristote qu’Averroès va peu à peu établir sa propre philosophie. « La vérité ne peut s’opposer à la vérité », telle pourrait être la formule maîtresse qui sous-tend la pensée du philosophe de Cordoue. Tout au long de ses commentaires, Averroès établit la théorie de la complémentarité de la raison et de la foi. La révélation et la logique, loin de s’exclure, dialoguent et permettent d’accéder à la connaissance.

Une telle vision ne pouvait contenter les dignitaires religieux. Si la réputation de juge et de médecin d’Averroès le mettent un temps à l’abri de l’hostilité que suscitent ses prises de positions, ses contempteurs finiront cependant par obtenir sa mise à l’index. Averroès tombe en disgrâce en 1195. Ecarté de toute fonction officielle, il fuit à Lucena, se cache et devient clandestin. Il sera emprisonné à Marrakech. Et s’il obtient finalement le pardon, il s’éteindra le 12 décembre 1198 sans avoir recouvré ses titres officiels.

Averroès : le double visage de la vérité
Tout au long de sa vie, le philosophe musulman Averroès n’aura de cesse de concilier foi et raison, tradition d’orient et d’occident. Une pensée moderne et un combat toujours d’actualité !

Dante et la psychanalyse

Jugée comme hérétique, son œuvre aura peu de répercutions dans le monde arabe. Elle connaîtra cependant une destinée glorieuse en occident. Son esprit de tolérance inspirera la philosophie des lumières. Dante, y fera ouvertement référence, dans son ouvrage « De monarchia », qui établit l’idée d’une séparation des pouvoirs spirituels et temporels. Cette postérité ne se démentira pas au long des siècles, jusqu’à la psychanalyse qui trouvera dans la volonté de réunir foi et raison, matière à inspiration. Et aujourd’hui encore, entre le consumérisme effréné d’un univers expurgé de ses mystères, et l’intégrisme d’une foi aveugle, la philosophie d’Averroès garde tout son pouvoir pénétrant.

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