Cigarette bien ancrée dans ses lèvres, blouson noir, regard noir. Un tableau à la James Dean résumera le portrait de Bill Hicks. Cette couleur sombre sera omniprésente dans sa vie. Une noirceur que l’on retrouvera dans son texte.
Bill Hicks, ou plutôt William Melvin Hicks, dans l’état civil voit le jour le 16 décembre 1961. L’homme était un humoriste américain réputé qui influença une génération entière d’artistes. Mais il n’était pas, pour autant, un comédien. Il vivait ses textes à fond, si bien que personne ne saura s’il « jouait » ou s’il était sincère. « Je ne blague pas ! » aimait-il asséner à son public s’abreuvant de ses paroles. Pas qu’une fois mais plusieurs fois au cours d’une représentation. D’ailleurs, étaient-ce des représentations ou les cris de son cœur qui resurgiraient en surface ?
Tout un monde
Durant ses représentations, Bill Hicks ne manquera jamais une occasion d’épancher sa bile sur le monde dans lequel il vit. « Un monde où John Lennon a été assassiné et pourtant Barry Manilow continue de sortir des putains d’albums », résumait-il dans « C’est là qu’on vit ». C’est dû en grande partie à la dure réalité de la vie. Pourtant, son enfance à Valdosta sera tranquille. Elevé dans la foi baptiste chrétienne du Sud, il passera une enfance tout à fait normale. L’église sera d’ailleurs son premier champ d’expérimentation. L’école du dimanche est, pour le jeune Hicks, un lieu d’expression de son talent d’acteur à travers de mini-saynètes qui seront très appréciées par ses premiers spectateurs.
Il est différent. Et il vivra mal cette situation dans sa jeunesse. Devant son attitude loin des standards, plutôt anti-conformiste, il suscite l’inquiétude de ses parents qui décident de l’emmener consulter un psychanalyste à l’âge de 17 ans. Il sera réconforté par le médecin qui l’incite à poursuivre sa voie.
Des fumées sans feu
Au départ, l’homme s’était épris pour tout un autre monde : l’univers des animaux. Il confiera d’ailleurs que son amour pour les bêtes aurait pu le conduire à devenir vétérinaire, mais il ne chasse pas ce qu’il est si facilement. Dans les années 80, le jeune Hicks monte son propre groupe et commence à écrire ses textes dans lesquels il s’attache à parler du quotidien. C’est un leitmotiv pour lui. Ses textes hypernerveux, volontairement vulgaires, s’enracinaient dans le quotidien de monsieur tout le monde. Il aimait décrire la réalité. C’est un héritage de Johny Carson et de Woody Allen. L’attachement à la réalité pour le premier et l’écriture nerveuse pour le second. Bill Hicks s’abreuvera du texte du réalisateur et acteur juif durant une bonne partie de sa jeunesse.
Durant cette époque, il commence à fumer énormément. Les diverses cures de dénicotinisation se solderont par des échecs. Malgré cette dépendance, il ne cessera jamais de dénoncer le tabac et ses effets néfastes dans ses spectacles. « Il est plus difficile de se sevrer de la cigarette que du coke », s’amuse-t-il à comparer dans son spectacle les « Drogues ». Sa dépendance à la nicotine et les difficultés pour arrêter de fumer seront des éléments récurrents dans son texte.
Humour noir et rire jaune
Bill Hicks maîtrisera à la perfection l’art de l’humour noir. Son détachement naturel à évoquer les choses les plus horribles ou les plus contraires à la morale de la vie est déroutant. D’ailleurs, il suscitera une controverse à travers une blague concernant un handicapé quelques années plus tard. Une boutade qui n’est pas forcement du goût de tout le monde et qui lui attirera les foudres de la censure.
Presque à la rue en 1986 à cause de ses problèmes de dépendance à la drogue, Bill Hicks connaîtra de nouveau le succès en 1987. D’ailleurs à propos des drogues, il avouera qu’ « une fois embarqué là-dedans, il est difficile de trouver mieux ». L’homme s’implantera à New-York, durant 5 ans il effectuera près de 300 représentations. En 1991, sa tournée au Royaume uni lui forgera une belle réputation. Bill Hicks se fait l’ambassadeur d’un genre qui était tombé presque dans la disgrâce, le « Stand up ». D’ailleurs, il influencera dans sa mise en scène dépouillée toute une génération d’artistes contemporains transcendant toutes les frontières.
Get up, stand up
Bill Hicks se sent investi d’une mission divine : lutter contre le capitalisme et le consumérisme. Il n’hésitera jamais à planter une banderille dans les flancs du système moderne et de ses dérives. Contre les publicitaires et les responsables marketing, il ne mâchera pas ses mots. « Il n’y a aucune rationalisation pour ce que vous faites. Vous êtes les petits assistants de Satan. Tuez-vous sérieusement ! » lançait-il dans sa pièce intitulée « Marketing ». L’homme diaboliserait toute forme d’asservissements par et pour l’argent. « Arrête de mettre tes foutues pancartes dollars sur chaque putain de chose sur cette planète », expliquait-il dans cette même représentation, pour dénoncer la tendance humaine et des capitalistes à monétiser tous les compartiments de la vie. Son « stand up » est déroutant. La frontière du spectacle et de la moralisation étant très mince, le public jouera un rôle à part entière dans ses représentations.
A travers cet engagement sociétal, Bill Hicks deviendra une figure de proue de la lutte contre le capitalisme. Il influencera grandement ses contemporains. Le députe britannique Stephen Pound expliquera que « les mots de Bill Hicks résonneront comme des balles frappant le cœur du consumérisme ».
Il s’éteindra en 1994, à l’âge de 33 ans seulement. Fauché par un cancer du pancréas en pleine force de l’âge, il rejoint le firmaments des grands humoristes. A la différence de ses illustres prédécesseurs, il a marqué de son empreinte indélébile la lutte contre le consumérisme.