Deng Thiak Adut, l’enfant-soldat devenu avocat Deng Thiak Adut, l’enfant-soldat devenu avocat Deng Thiak Adut, l’enfant-soldat devenu avocat
Biographie

Deng Thiak Adut, l’enfant-soldat devenu avocat

Publié le 3 mars 2016,
par VisionsMag.
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C’est l’un des avocats les plus en vue de Sydney. Et aussi l’un des plus occupés. Depuis qu’il exerce sa profession, Deng Thiak Adut s’investit sans compter dans la défense des réfugiés, qu’il reçoit dans son cabinet de Blacktown. Le 21 janvier, c’est lui qui eut l’honneur de délivrer son message à la tribune de l’Australia Day address, une cérémonie annuelle majeure en Australie. Son combat public se confond avec un combat plus intime, celui d’un enfant enlevé à sa famille et utilisé comme soldat dans le Soudan troublé des années 1980.

Un homme privé d’enfance

« Un enfant avec une arme n’est plus un enfant, c’est un soldat, un tueur »[1]. C’est en maniant une kalachnikov plus grande que lui que Deng Thiak Adut a grandi, enfant-soldat perdu au cœur d’un conflit meurtrier. Massacres de masse, tortures, civils réduits en esclavage, famines, rien n’a été épargné à la population soudanaise dans une guerre ayant causé, selon les estimations, plus de 2 millions de victimes.

C’est en 1987, après deux années de conflit, que les forces rebelles s’emparent de son village, et que l’enfer commence pour Deng Thiak Adut. Pendant six ans, son quotidien sera rythmé par la peur, la haine, et la vision de ses amis emportés un à un par ce conflit absurde. Blessé à trois reprises, affaibli par la maladie, il a douze ans lorsqu’il est atteint d’une balle dans le dos. Son demi-frère, qu’il croyait mort, le rejoint et lui propose de s’évader hors du pays pour gagner un camp de réfugiés. Deng Thiak Adut accepte, et c’est dans des sacs de maïs, cachés à l’arrière d’un camion, que les deux frères gagnent le Kenya.

S’en sortir à tout prix

Une décision difficile à prendre pour un jeune homme ayant connu le lavage de cerveau dès son plus jeune âge, et qui confesse avoir négligé auparavant plusieurs occasion de s’enfuir. Grâce à la force de persuasion de son demi-frère, ils parviennent tous deux à franchir la frontière kenyane et sont pris en charge dans un camp de l’ONU. Un couple de volontaires australiens leur obtient un visa et c’est en 1998 qu’ils arrivent à Blacktown pour un nouveau départ. Deng Thiak Adut, qui ne sait ni lire ni écrire, et ne connait pas la langue anglaise a tout à apprendre. Il devient pompiste et étudie en autodidacte, avant d’intégrer un programme d’éducation le formant à la comptabilité. Mais il veut aller plus loin, et réussit en 2005 les tests d’admission à la prestigieuse Western Sydney University, où il obtient son diplôme d’avocat.

Révélé par une publicité

Cette histoire hors du commun aurait pu rester confidentielle sans une publicité mise en ligne par cette université. Deng Thiak Adut y figure dans une série de trois vidéos s’attachant aux parcours singuliers d’anciens étudiants. Filmée comme une reconstitution, l’œuvre met en scène les étapes de la vie de l’enfant-soldat, de son enlèvement jusqu’à l’exercice de son métier. Ce condensé de vie durant moins d’une minute trente a ému les 2 millions d’internautes qui l’ont visionnée. Parmi eux, Mike Baird, le Premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud, qui a aussitôt invité Deng Thiak Adut à s’exprimer lors de l’Australia Day address.

Les déclarations de ce dernier ont bouleversé l’Australie : le jeune avocat y aborde son passé, confessant son manque de courage au moment d’appuyer sur la gâchette pour se soustraire aux souffrances insupportables de la guerre. Beaucoup de ses camarades ont choisi l’option de se loger une balle dans la tête, parfois sous ses yeux, dans ce qui leur semblait la seule échappatoire possible.

Deng Thiak Adut, l’enfant-soldat devenu avocat
Une vidéo publiée par la Western Sydney University a mis en lumière l’incroyable destin de Deng Thiak Adut, enfant-soldat soudanais devenu avocat en Australie.

Deng Thiak Adut : une leçon d’espoir

Mais plus que le passé, c’est bel et bien le présent et le futur qui préoccupent Deng Thiak Adut. Les valeurs qui ont fondé la démocratie ne doivent pas, selon lui, s’effacer derrière la peur provoquée par le terrorisme. Dans son allocution, il exprime son amour pour la culture australienne, tout en déclarant que « Le blanc est une couleur à laquelle beaucoup d’autres peuvent être ajoutées »[2]. Dans un contexte national tendu, où certains politiciens remettent en question le multiculturalisme australien, son discours interpelle et suscite la réflexion.

Pour l’heure, si Deng Thiak Adut entend rester en Australie pour défendre les réfugiés, il avoue songer à un possible retour au Soudan, pour y exercer en tant qu’avocat spécialiste de l’environnement. Lucide sur les racines des conflits ayant secoué son pays d’origine, il est persuadé qu’une gestion raisonnée des richesses naturelles, et plus particulièrement de l’eau, pourra éviter qu’un nouveau drame ne se produise à nouveau.

[1] “A child with a gun is somehow not a child anymore–-they’re a soldier, a killer”, a déclaré Deng lors d’une interview.
[2] “White is a colour to which so much can be added”

Sources des photos : sbs.com.au / governor.nsw.gov.au