« La conjuration des imbéciles » figure aujourd’hui en bonne place parmi les ouvrages cultes du XXème siècle. Le roman est même devenu un best-seller international. Un succès que n’aura jamais connu son auteur, John Kennedy Toole, mort à 31 ans sans avoir jamais publié la moindre ligne.
« Qu’est-ce que c’est que toutes ces saletés ? C’est ma vision du monde ». Voilà comment Ignatus Reilly, le personnage principal de « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole, répond à sa mère quand elle lui annonce qu’il va devoir chercher un travail. Tout un programme !
Toutes les tares possibles
Egoïste, égocentrique, paranoïaque, hypocondriaque, le protagoniste de « La conjuration des imbéciles » conjugue toutes les tares possibles. Incapable de s’intéresser à autre chose que ses problèmes digestifs, Ignatus Reilly est l’archétype de l’inadapté social. Sa quête d’un travail dans la Nouvelle Orléans du début des années soixante, va devenir une véritable épopée. L’auteur en profitera pour nous livrer un portrait drôle et désabusé de l’humanité. Personne ne trouvera grâce aux yeux d’Ignatus Reilly, ni la police, ni les marchands, ni les féministes, ni les beatniks héros de la contestation naissante, pas même ses étudiants à qui il souhaite, par égard pour le monde, d’être tous stériles.
Comment un tel être, incapable de la moindre empathie, peut-il alors se faire une place dans la société ? Dans le roman, l’échec du personnage sera comique. Dans la vie de John Kennedy Toole, cette impossibilité de s’intégrer dans le monde précipitera une fin dramatique.
Ecrivain maudit
Car le destin de John Kennedy Toole ressemble à ces parcours maudits que l’art a tant de fois inspirés. Rimbaud, Verlaine, Van Gogh, Schubert, Artaud… la liste est longue. John Kennedy Toole est né en 1937 à la Nouvelle Orléans. Il y passera toute son enfance et y deviendra enseignant, après avoir obtenu un master en littérature. Sa « vraie vie » cependant se déroule ailleurs que sur les estrades des universités. C’est à Porto Rico, où il fait son service militaire, qu’il écrit en 1961, « La conjuration des imbéciles », tout en enseignant l’anglais aux jeunes recrues hispanophones.
De retour à la Nouvelle-Orléans, John Kennedy Toole tente de faire publier son manuscrit. C’est alors que commence son destin maudit. Aucun éditeur, ne voudra le signer. Il n’épargne pourtant pas ses efforts, multipliant les démarches, réécrivant certains passages quand on lui en donne le conseil. En vain. Lassé de ce combat, après une ultime dispute avec sa mère – avec laquelle il n’a cessé de vivre – John Kennedy Toole disparaît pendant plusieurs semaines au début de l’année 1969. Le 26 mars, on retrouvera sa voiture au bord du Mississipi. Sur le siège avant, le corps de l’écrivain mort. John Kennedy Toole s’est suicidé par asphyxie en reliant le pot d’échappement à l’intérieur du véhicule avec un tuyau d’arrosage. Il avait trente et un ans.
Sauvé pas sa mère
C’est la mère de l’auteur qui va réussir là où son fils a échoué. A force de harceler les éditeurs, elle va transformer une vie ratée en une véritable légende. Walker Percy, écrivain et universitaire, va être le premier à se laisser convaincre. Le livre sort en 1980 chez un éditeur confidentiel. Il est tiré à 2500 exemplaires. Quelques mois plus tard, John Kennedy Toole est le premier et le seul écrivain à recevoir le prix Pulitzer à titre posthume. Nous sommes en 1981, « La conjuration des imbéciles » devient un ouvrage culte et un best-seller. Le livre va être vendu à 1,5 millions d’exemplaires, et traduit en 18 langues. Un succès qui s’explique par l’humour et l’anticonformisme de l’ouvrage. Le livre s’offre comme une critique réjouissante du politiquement correct et de la pensée unique.
Pas sûr, cependant que John Kennedy Toole aurait goûté cette consécration post-mortem. Les masses n’étaient pas de son goût. L’homme en effet aimait à répéter que désireux de ne fréquenter que ses égaux, il ne fréquentait bien évidemment personne.