Le Brexit ébranle l'UE, le Royaume-Uni et les marchés
LONDRES (Reuters) par Guy Faulconbridge et Kate Holton – Le choix des électeurs britanniques de sortir de l’Union européenne a déclenché vendredi une tempête politique et financière qui dépasse largement les frontières de l’UE et ouvre une phase d’incertitude sans précédent pour la construction européenne comme pour la cohésion du Royaume-Uni.
Alors que les sondages et les premiers résultats donnaient le « Remain » (maintien) gagnant jeudi soir, la tendance s’est retournée pendant la nuit et la victoire du « Leave » a été annoncée officiellement par la commission électorale en début de matinée. Près 51,9% des électeurs se sont prononcés en faveur de la sortie du pays de l’UE.
L’issue du scrutin a déclenché sur les marchés financiers un mouvement de panique sans précédent depuis la crise financière de 2008.
La livre sterling, qui a perdu jusqu’à 10% face au dollar et est tombée à son plus bas niveau depuis 1985, cédait encore 7,5% face au billet vert vers 15h45 GMT. Après Tokyo, qui a clôturé en recul de 7,92%, les Bourses européennes ont également plongé. Londres a fermé en baisse de 1,66%, Paris a chuté de 8,04% et Francfort de 6,82%. Wall Street a ouvert sur un repli moins marqué et le Dow Jones cédait 2,59%.
L’heure était à la mobilisation dans les grandes banques centrales de la planète: la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine se sont déclarées prêtes à injecter si nécessaire des liquidités sur les marchés. De son côté, la Banque nationale suisse est intervenue sur le marché des changes pour freiner la hausse du franc, dopé par son statut de valeur refuge.
CAMERON VA DÉMISSIONNER
Le Premier ministre, David Cameron, qui avait promis le référendum en 2013 dans l’espoir d’enrayer la montée des eurosceptiques au sein du Parti conservateur mais a vu cette manoeuvre se retourner contre lui, a annoncé en début de matinée qu’il démissionnerait d’ici octobre.
« Je ne crois pas qu’il soit opportun que je sois le capitaine qui mène notre pays vers sa prochaine destination », a-t-il expliqué.
L’ex-maire de Londres Boris Johnson, principal animateur de la campagne du « Leave », est donné favori pour lui succéder au 10, Downing Street.
David Cameron a précisé qu’il laisserait à son successeur le soin d’enclencher la procédure de divorce avec les Européens. Boris Johnson a estimé qu’il n’y avait « aucune raison de se précipiter à invoquer l’article 50 » du traité européen de Lisbonne qui encadre le retrait d’un Etat membre que seul ce dernier peut solliciter.
INITIATIVES EUROPÉENNES
Mais les principaux responsables des institutions européennes ont souligné vouloir entamer rapidement les négociations avec Londres.
François Hollande a quant à lui annoncé des initiatives françaises en vue de provoquer un « sursaut » européen. « Le vote des Britanniques met gravement l’Europe à l’épreuve », a-t-il dit en soulignant une « perte de confiance des peuples dans le projet qu’elle porte ». « Aujourd’hui, c’est l’histoire qui frappe à notre porte, ce qui se joue c’est la dilution de l’Europe », a-t-il dit.
Angela Merkel, François Hollande, l’Italien Matteo Renzi et Donald Tusk, le président du Conseil européen, se retrouveront lundi à Berlin, avant le Conseil européen à 28 de mardi et mercredi.
« L’Allemagne a un intérêt particulier et une responsabilité particulière à faire en sorte que l’unité européenne soit un succès », a déclaré la chancelière allemande.
Dès samedi, les ministres français et allemand des Affaires étrangères proposeront une union plus flexible à leurs homologues des quatre autres pays fondateurs de la communauté européenne, réunis à Berlin, a-t-on appris de source diplomatique. Le projet préparé par Frank-Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault envisage notamment « d’offrir un espace » aux pays qui ne sont pas prêts à approfondir l’intégration.
La Lettonie, qui prendra la présidence tournante de l’UE dans quelques jours, a dit vouloir organiser un sommet extraordinaire le mois prochain.
Chez les eurosceptiques, l’euphorie est de mise. « L’Union européenne est en train de mourir », s’est félicité Nigel Farage, chef de file du parti anti-européen Ukip, après avoir dit « oser rêver que l’aube se lève pour un Royaume-Uni indépendant ».
En France, Marine Le Pen, la présidente du Front national, parlant sur Twitter de « victoire de la liberté », a demandé l’organisation du « même référendum en France et dans les pays de l’UE ». Le Néerlandais Geert Wilders, dont le parti est en tête des intentions de vote en vue des élections législatives de mars prochain, a annoncé qu’il ferait du « Nexit » l’axe central de sa campagne.
ÉCOSSAIS ET NORD-IRLANDAIS VEULENT RESTER
L’UE sortira donc forcément affaiblie, tant politiquement qu’économiquement, d’une procédure de divorce longue et difficile qui la privera d’un Etat membre représentant environ 15% de son poids économique.
En quittant l’Union, dont elle est membre depuis 1973, la Grande-Bretagne perdra pour sa part l’accès au marché unique européen et devra négocier de nouveaux accords commerciaux bilatéraux avec ses partenaires dans le monde entier.
Sur le plan politique, au-delà du sort de David Cameron, le résultat du vote risque de déchirer durablement les Tories.
Après quatre mois d’une campagne violente, marquée par de fortes divisions, et le meurtre de la députée travailliste et pro-européenne Jo Cox, le camp du « Remain » aura été impuissant à empêcher la vague anti-système, et les désillusions envers une Europe jugée distante, bureaucratique et engluée dans des crises sans fin.
Désormais, comme le montrent les cartes électorales et les premières réactions, c’est la cohésion même du Royaume-Uni qui est en question.
En Ecosse, où 62% des électeurs ont voté pour le maintien dans l’UE, la Première ministre, Nicola Sturgeon, s’est prononcée en faveur de la tenue d’un nouveau référendum d’autodétermination, moins de deux ans après l’échec de la consultation de septembre 2014.
La situation est comparable en Irlande du Nord, où le « Remain » a obtenu 56% des suffrages et où le Sinn Féin, principal parti nationaliste irlandais, a réclamé un référendum sur l’unification de l’Irlande.
Le Parti travailliste britannique, majoritairement pro-européen, se voit lui aussi divisé par l’issue du référendum : deux de ses membres ont déposé une motion de défiance contre leur chef de file, Jeremy Corbyn, en mettant en cause sa gestion de la campagne.
(avec les bureaux de Reuters, Benoît Van Overstraeten, Julie Carriat et Marc Angrand pour le service français, édité par Henri-Pierre André et Nicolas Delame)