Le gouverneur chrétien de Djakarta reconnaît sa défaite
par Cindy Silviana et Eveline Danubrata
DJAKARTA (Reuters) – L’ancien ministre indonésien de l’Education, Anies Baswedan, de confession musulmane, a largement battu mercredi le gouverneur sortant de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, premier chrétien à avoir accédé à cette fonction, au terme d’une campagne tendue où la question religieuse a pesé.
D’après l’institut de sondage Indikator Politik, qui s’appuie sur un décompte de la quasi-totalité des bulletins de vote exprimés au second tour de l’élection, Baswedan obtient 58% des voix contre 42% pour son adversaire.
La commission électorale ne communiquera pas de résultats officiels avant le début du mois de mai, mais la large victoire qui se dessine est une surprise d’une ampleur que certains observateurs comparent au succès du Brexit au référendum britannique de juin dernier ou à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.
Au premier tour, le 15 février, Basuki Tjahaja Purnama, alias « Ahok », premier membre de la minorité chinoise et premier chrétien à avoir gouverné la capitale indonésienne, était arrivé en tête avec 43% des voix contre 40% pour Baswedan.
« Notre priorité, c’est la justice sociale et la fin des inégalités, et notre engagement, c’est la préservation de la diversité et de l’unité », a dit Baswedan lors d’une conférence de presse.
Son rival, qui lui cédera le poste en octobre, l’a félicité pour sa victoire. « Nous avons encore six mois avant que le nouveau gouverneur ne soit investi et nous allons finir nos devoirs », a-t-il dit devant la presse. « Nous espérons qu’à l’avenir, tout le monde pourra oublier cette campagne. »
LA CARTE RELIGIEUSE
Quelque sept millions d’Indonésiens étaient appelés aux urnes ce mercredi sur fond de tensions religieuses croissantes dans la capitale indonésienne.
Les deux camps se sont inquiétés d’actes éventuels d’intimidation des électeurs et ont mis en garde contre la fraude électorale. Au cours de la semaine, le Jakarta Post a estimé que la campagne électorale dans la capitale avait été « la plus sale, la plus polarisante et la plus clivante » que l’Indonésie ait jamais connue.
La question religieuse a rejailli au premier plan avec le procès en blasphème intenté en pleine campagne contre « Ahok » par des mouvements islamistes radicaux qui ont mobilisé à plusieurs reprises leurs partisans dans la rue – en s’affichant avec eux, Baswedan, à la réputation de dirigeant modéré, a été accusé de vouloir instrumentaliser le vote musulman conservateur.
Le procès de Purnama, une manoeuvre politique selon ses partisans, reprendra jeudi. Il encourt jusqu’à cinq ans de prison.
« A l’avenir, la carte religieuse va devenir une force puissante », estime Keith Loveard, analyste chez Concord Consulting et auteur d’essais sur la politique indonésienne.
Avec 250 millions d’habitants, musulmans à plus de 85%, l’Indonésie, quatrième pays le plus peuplé au monde, est aussi le pays à la population musulmane la plus élevée de la planète mais compte aussi des communautés chrétienne, hindoue et bouddhiste conséquente.
APPEL À L’UNITÉ
La sécurité avait été renforcée dans la mégapole avec le déploiement de 66.000 policiers pour assurer la sécurité du scrutin. Aucun incident majeur n’a été signalé à la fermeture des bureaux de vote, à 13h00 (06h00 GMT). La police a fait état de quinze interpellations.
L’élection au poste de gouverneur de la capitale constitue un test pour la démocratie indonésienne, instaurée il y a moins de vingt ans. Etant donné l’importance démographique de Djakarta et de ses dix millions d’habitants, elle a aussi valeur de baromètre pour l’élection présidentielle de 2019.
Basuki Tjahaja Purnama était soutenu par le parti du président Joko Widodo.
Anies Baswedan, pour sa part, se présentait aux électeurs avec le soutien du général conservateur à la retraite Prabowo Subianto, battu par Widodo lors de l’élection présidentielle de 2014.
« Les divergences politiques ne doivent pas briser notre unité », a déclaré le président Joko Widodo après avoir voté. « Nous sommes tous frères et soeurs. Quel que soit le vainqueur, nous devrons l’accepter. »
(avec Agustinus Beo Da Costa; Julie Carriat et Henri-Pierre André pour le service français)