Leonid Yakobson, la chorégraphie comme résistance au régime soviétique Leonid Yakobson, la chorégraphie comme résistance au régime soviétique Leonid Yakobson, la chorégraphie comme résistance au régime soviétique
Biographie

Leonid Yakobson, la chorégraphie comme résistance au régime soviétique

Publié le 27 avril 2015,
par VisionsMag.
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Leonid Veniaminovich Yakobson, chorégraphe russe né en janvier 1904 à Saint Pétersbourg, a longtemps été décrié et censuré pour ses œuvres allant à l’encontre de l’art soviétique. La modernité de ses ballets est longtemps restée cachée de la vue du public occidental, mais la publication en janvier 2015 de sa biographie par Janice Ross a permis de sortir cet artiste avant-gardiste de l’ombre (1). Portrait d’une vie tourmentée au sein d’un régime répressif.

Transgression des codes établis, noirceur de l’existence humaine mise en exergue, tel est le cri de résistance des œuvres de Leonid Yakobson. Dès 1918, alors que le jeune Leonid n’avait que 14 ans, il a été projeté de plein fouet dans la réalité d’une Russie dévastée par la guerre civile et la famille. Il a été déporté avec ses deux frères en Sibérie aux côtés de centaines d’enfants, dont la plupart ont péri de froid ou de faim, avant d’être secourus par la Croix Rouge. C’est suite à cette terrible expérience que l’artiste s’est tourné vers la chorégraphie, en s’inscrivant à l’Ecole chorégraphie de Leningrad. Après l’obtention de son diplôme en 1926, il a intégré la célèbre troupe du Kirov – aujourd’hui connue sous le nom de Mariinsky.

Au cours de ses études, Yakobson a commencé à développer une chorégraphie agressive, portant sur des thèmes tels que l’isolation et la marginalisation et alliant mouvements saccadés et sensuels. Il a rapidement été ostracisé pour ses œuvres innovantes qui s’opposaient aux codes établis par le régime répressif soviétique. Le chorégraphe a cependant été un artiste prolifique, créant non moins de 180 ballets jusqu’à sa mort en octobre 1975.

Yakosbon artiste et dissident

La dissidence de Yakosbon était à la fois artistique que politique, car ses chorégraphies ont brisé aussi bien les règles du ballet classique russe que celles de l’ancien régime soviétique. En 1930, en pleine ascension stalinienne, le chorégraphe réalise sa première pièce importante, « l’Age d’Or » de Dimitri Chostakovitch. Ce ballet illustre la double transgression mise en place par le chorégraphe, ce qui a abouti à sa censure : portant sur des thèmes politiques tels que l’oppression par une société policée, Yakobson a également fait voler en éclat les codes du ballet classique en incluant des mouvements de danses non conventionnelles comme le foxtrot ou le tango. Un autre de ses ballets célèbres, « Shurale », a également attiré les foudres du régime communiste et le chorégraphe a fini par être expulsé de la troupe du Kirov en 1951.

Yakobson a été le mentor des étoiles dissidentes telles que Natalia Makarova, Mikhaïl Baryschnikov Maya Plissetskaïa et Rudolf Nureyev. Makarova, danseuse étoile du théâtre du Kirov, lui a rendu hommage lors de la publication de sa biographie en déclarant qu’il était « un chorégraphe unique et de génie. Je suis heureuse d’avoir été sa muse, et j’ai profondément apprécié son influence significative sur ma manière de danser, qui a continué de façonner mon développement tout au long de ma carrière ».

Leonid Yakobson, la chorégraphie comme résistance au régime soviétique
Leonid Yakobson, le fascinant chorégraphe dissident de l’ex-URSS, oublié de l’Occident

Like a bomb going off : biographie ou essai critique?

Bien que conçu comme une biographie historique, Like a bomb going off, écrit par Janice Ross, professeur de théâtre et directrice de la section de danse à la prestigieuse université de Sandford, s’apparente plus à un essai critique et académique.

Travaillant sur la base de photos et de vidéos archivées portant sur le travail de l’artiste au Kirov et au Bolchoï, ainsi que d’interviews des membres de sa troupe et de son audience, Janice Ross a adopté une perspective académique, oubliant parfois de redonner vie au personnage qu’elle a elle-même sorti de l’oubli. La structure même de son livre, qui est divisé en aspects thématiques plutôt que chronologiques, l’écarte d’une biographie traditionnelle et le place plutôt au rang des essais politiques et culturels(2).

Ross insiste en particulier sur l’identité juive de Yakobson, de son évolution au sein d’une URSS antisémite et de l’incorporation de son héritage au sein de ses ballets. Sa perspective s’axe autour du développement de la culture juive dans l’art soviétique du 20ème, ce qui selon certains critiques dresse un portrait réducteur de l’oeuvre du chorégraphe, qui n’a produit que trois œuvres traitant directement de cette thématique.

Toutefois, malgré les critiques soulevées, le livre de Janice Ross a le mérite de sortir ce talentueux artiste et dissident méconnu de l’oubli dans lequel il avait sombré, redonnant tout son prestige à une étoile qui ne cesse de briller.

1 : Janice Ross, Like a Bomb Going Off, Leonid Yakobson and Ballet as Resistance in Soviet Russia, préface par Lynn Garafola, Yale University Press, Janvier 2015, 536 p., 40$. En vente à: yalepress.yale.edu
2 : Pour un aperçu du contenu, voir : leonidyakobson.com

Images : hwww.independent.co.uk/ mariinsky.ru