par Tom Perry
BEYROUTH (Reuters) – Michel Aoun a été élu lundi à la présidence de la République du Liban par les députés et a prêté serment dans la foulée, après 29 mois de vacance à la tête du pays.
Proche allié du Hezbollah chiite depuis dix ans, l’ancien général chrétien, qui est âgé de 81 ans, a été élu en application d’un accord conclu avec son ancien adversaire, le sunnite Saad Hariri, à qui devrait revenir le poste de Premier ministre.
Au premier tour de scrutin, il lui avait manqué deux voix pour réunir la majorité qualifiée des deux tiers, soit 86 voix, sur 128 sièges. N’était plus requise à partir du second tour qu’une majorité simple de 65 voix et Michel Aoun en a recueilli 83. Il était opposé à Sleiman Frangié.
Des feux d’artifice ont été tirées dans le ciel de Beyrouth à l’annonce de son élection, retransmise en direct à la télévision.
Dans son discours d’investiture, Michel Aoun s’est engagé à lutter contre le terrorisme et empêcher que des « incendies » régionaux se propagent au Liban.
Il a ajouté que tout règlement de la crise syrienne devait assurer le retour en Syrie des réfugiés présents au Liban, qui sont au nombre de 1,5 million.
Le « pacte national », accord non-écrit conclu en 1943, réserve la présidence du Liban à un chrétien maronite, le poste de chef du gouvernement à un sunnite et la présidence de la Chambre des députés à un chiite.
CONCESSION MAJEURE
En décidant de soutenir Michel Aoun, Saad Hariri a fait une concession politique majeure qui reflète le recul de l’influence de l’Arabie saoudite au Liban et le rôle toujours décisif joué par le Hezbollah, appuyé par l’Iran. Ryad a soutenu Hariri pendant les années de lutte politique qui ont opposé le camp sunnite au Hezbollah et ses alliés.
Les déboires financiers de Hariri, dont l’entreprise de construction basée en Arabie saoudite, Saudi Oger, est confrontée à des difficultés, ont également joué leur part dans ce déblocage de la crise.
Les observateurs notent cependant que son accession au fauteuil de Premier ministre, fonction qu’il a déjà exercée entre 2009 et 2011, devrait l’aider à rassembler des soutiens en vue des élections législatives qui doivent se tenir en 2017.
Michel Aoun rencontrera dans le courant de la semaine les députés avant de désigner un Premier ministre. Il doit nommer le candidat réunissant le plus grand soutien à la Chambre des députés, qui devrait être Hariri.
Son élection marque le spectaculaire retour en grâce de l’ex-commandant en chef de l’armée libanaise, qui avait dû se réfugier à l’ambassade de France en octobre 1990 avant d’être exfiltré vers l’Hexagone.
Michel Aoun suscite à la fois admiration et hostilité au Liban, où il s’est fait connaître pendant la guerre civile (1975-90), comme nombre de responsables politiques du pays.
Parmi les soutiens à sa candidature figuraient d’anciens ennemis comme le chrétien Samir Geagea ou le druze Walid Joumblatt. Mais d’autres, comme l’influent président de la Chambre, le chiite Nabih Berri, restaient opposés à son élection.
Durant son exil en France, Michel Aoun a continué à militer contre la Syrie et n’a regagné son pays qu’en 2005, après le retrait des forces syriennes consécutif aux vastes manifestations ayant suivi l’assassinat de Rafik Hariri, père de Saad. Il avait alors reçu un accueil triomphal sur la place des Martyrs à Beyrouth.
Moins d’un an plus tard cependant, Michel Aoun concluait une alliance avec le Hezbollah, se rangeant dans le camp favorable à Damas et provoquant la colère de Washington. Dans un câble de 2006, l’ambassadeur américain Jeffrey Feltman estimait que les ambitions présidentielles d’Aoun « l’emportent sur toute autre préoccupation ».
Michel Aoun s’est rendu en Syrie en 2009, où il a rencontré le président Bachar al Assad. En 2014, dans une interview, ce dernier déclarait qu’il se féliciterait de l’accession de Michel Aoun à la présidence libanaise, voyant en lui un partisan de la « résistance », allusion au Hezbollah.
L’ex-général a justifié le rôle de la milice chiite aux côtés des forces gouvernementales en Syrie, estimant qu’elle défendait le Liban et les chrétiens libanais contre la menace djihadiste.
(Tom Perry; Henri-Pierre André et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)