Nadezhda Kutepova défend les victimes de Maïak
Si tout le monde a entendu parler de l’accident nucléaire de Tchernobyl, celui du site de Maïak a fait au contraire l’objet d’un véritable secret d’état. A tel point que la ville d’Ozersk, voisine du site, a disparu des cartes russes jusqu’en 1993.
Depuis 1999, Nadezhda Kutepova se démène sans relâche grâce à son ONG Planète de l’Espoir pour faire connaître cette catastrophe, et obtenir réparation pour ses victimes. Originaire de cette ville fantôme, elle vit aujourd’hui en France.
L’accident de Maïak a lieu le 29 septembre 1957. Un réservoir contenant 80 tonnes de déchets radioactifs explose. Ces déchets se répandent sur un territoire de 23.000 km2 (l’équivalent de la Bretagne), zone habitée par 250.000 personnes.
Elle est classée niveau 6 sur l’échelle de l’Ines (Echelle des événements nucléaires), juste un point en dessous de Tchernobyl ou Fukushima (classés 7). Pourtant, le monde n’en entendra pas parler avant 1976, quand Jaurès Medvedev, biologiste soviétique dissident réfugié à Londres, publie un article sur le sujet.
Née sur le site de la catastrophe
Nadezhda Kutepova naît en 1972 à Ozersk, ville bâtie en 1948 en même temps que la centrale nucléaire de Maïak. Durant son enfance, elle apprend à taire l’existence même de ce lieu. « Si tu le dis à qui que ce soit, nous serons arrêtés », lui répètent ses parents. Aujourd’hui la ville est devenue l’un des plus grands centres de stockage de déchets nucléaires au monde, et figure parmi les dix villes nucléaires russes fermées.
Enfant, Nadezhda ne se rend compte de rien. Et pourtant… Sa grand-mère, ingénieure chimiste à Maïak dès sa création, est morte à l’âge de 56 ans d’un cancer du système lymphatique. Et son père, ingénieur arrivé après l’explosion comme « liquidateur », c’est-à-dire pour nettoyer le site, mourra d’un cancer lorsqu’elle a 13 ans. « Mais à ce moment-là, je ne me suis pas demandé pourquoi » se souvient-elle.
La jeune femme devient infirmière, puis sociologue. Et en 1990, sa vie bascule, à l’époque où Boris Eltsine, en visite dans la région, officialise enfin la catastrophe : « Cela a été comme une révélation. » Elle décide alors de créer son ONG, Planète de l’Espoir. Au début, elle se focalise sur la défense des femmes enceintes, avec des cours de psychologie, du sport, ainsi qu’une consultation juridique.
Mais la consultation attire toujours plus de monde, et l’ONG devient un lieu de défense des victimes de Maïak et des habitants des villes fermées.
Au cours des quinze dernières années, Nadezha et ses quatre collègues ont défendu des centaines de personnes, et conduit de nombreux procès auprès de tribunaux locaux, nationaux, et même à la Cour européenne des droits de l’homme. La plupart avaient trait à des demandes d’indemnisation.
Réfugiée politique en France depuis 2016
Les victimes sont les veuves de liquidateurs, les habitants de villages déplacés le long de la rivière Techa, la minorité tatare qui continue à vivre dans des zones contaminées, mais aussi les descendants des victimes directes de la catastrophe, et qui eux-mêmes déclarent des maladies.
Mais le combat de Nadezhda Kutepova ne tarde pas à déranger en haut-lieu. Dès 2004, l’ONG subit des pressions du FSB (successeur du KGB). En avril 2015, Planète de l’espoir est placée sur la liste des « agents de l’étranger », sous prétexte qu’elle reçoit des financements de Women in Europe for a Common Future (association présente dans 50 pays) et de la fondation américaine National Endowment for Democracy.
La pression devenant danger, son avocat en France lui conseille de partir sur le champ. Elle arrive à Paris avec ses trois enfants en juillet 2015, et obtient son statut de réfugiée politique en avril 2016.
C’est aujourd’hui depuis la France qu’elle poursuit son combat : défendre encore et toujours les victimes de la grande catastrophe.
Photos : guim.co.uk / wikimapia.org