Une véritable tourmente s’est emparée du paysage politique britannique, alors qu’approche l’échéance cruciale des élections générales. Donnés au coude à coude dans les sondages, les deux principaux partis, travailliste et conservateur, doivent faire face à l’émergence de formations plus modestes, mais dont la représentation médiatique ne cesse de croitre. Parmi elles, l’UKIP, pour United Kingdom Independence Party , créditée de 10 à 15% des intentions de vote, jette le trouble par ses critiques virulentes de l’Europe et de l’immigration. Portrait de son chef de file Nigel Farage, devenu ces dernières années une figure incontournable de l’échiquier politique d’outre-Manche.
Difficile de ne pas remarquer Nigel Farage lorsqu’il déambule dans les couloirs du Parlement européen. Cultivant une image toute britannique, mêlant à la fois excentricité et flegmatisme, humour et dandysme, le personnage ne rate aucune occasion de se distinguer. Au Royaume-Uni, ses déclarations en ont fait une star des médias, dont les journalistes, l’œil goguenard, guettent le bon mot qui assurera un buzz immédiat. Les sites de vidéos en ligne regorgent de séquences montrant le sémillant quinquagénaire s’en prendre tour à tour aux instances européennes, à ses dirigeants, ainsi qu’à la classe politique de son pays. Certains, ayant cherché à lui porter contradiction lors de débats télévisés, n’en sont pas ressortis indemnes.
Pourtant, si humour et phrases chocs font parfois mouche auprès des spectateurs, sa pensée politique traduit le malaise qui s’est emparé des électeurs britanniques, sur fond de rejet des institutions en place, de l’Europe ainsi que d’une immigration considérée comme un handicap au développement du Royaume-Uni.
Nigel Farage conservateur déçu
Originaire du Kent, comté du sud-est de Londres, le jeune Nigel s’avère peu enclin à poursuivre de longues études, et se lance dès l’âge de 18 ans dans la vie active. Partant à la conquête de la City, il y devient courtier, gravit les échelons et amasse une petite fortune, tout en développant des idées ultralibérales. Fervent admirateur de Margaret Thatcher, il abandonne en 1992 le parti conservateur au sein duquel il militait, contrarié par l’adhésion de John Major au traité de Maastricht.
Un an plus tard, en 1993, il cofonde UKIP, réunissant des opposants à l’Union européenne, des ultralibéraux décomplexés, des conservateurs désabusés et des adversaires de l’immigration. Orateur redoutable, il impose son parti et réussit à se faire élire député européen en 1999, les tribunes de Bruxelles et de Strasbourg lui offrant, paradoxalement, autant d’occasions de fustiger une UE qu’il rejette en bloc, faisant de lui l’incarnation vivante de l’euroscepticisme.
Raz-de-marée aux élections de 2014
Habitué à un bipartisme se résumant au Labour et aux Tories, le Royaume-Uni a vu au fil des ans de plus en plus d’électeurs rejoindre les idées du parti aux couleurs jaune et pourpre. Ses critiques acerbes de l’establishment européen parviennent à convaincre une partie de la population anglo-saxonne confrontée au chômage de masse et à la crise des valeurs politiques qui ronge le pays. Les tirades de Farage sont imprimées sur des T-shirts et des affiches vendus lors de ses meetings, et détonnent dans un milieu jusqu’alors policé à l’extrême. Herman Van Rompuy ? « Le charisme d’une serpillère humide et l’aspect d’un petit guichetier de banque ». José Manuel Barroso ? « Un idiot et un communiste ». David Cameron ? « Un looser ». Les exemples sont nombreux, et personne ne semble échapper à ses propos lapidaires et teintés de populisme. La recette semble fonctionner, puisque UKIP a réalisé, lors des élections européennes de 2014, un score de 27,5%, devançant tous les autres partis de Grande-Bretagne.
L’UKIP, un parti d’extrême-droite ?
Si ses prises de position le rapprochent d’une certaine Marine Le Pen, Nigel Farage récuse toute proximité avec le Front National, laissant au British National Party l’exclusivité d’un tel rapprochement. Se défendant de tout racisme, le leader de l’UKIP voit une seconde raison de se méfier du parti de Marine Le Pen : « Elle a un programme politique d’extrême gauche ! », déclare-t-il lors d’un entretien accordé au Figaro. « Chez Marine Le Pen, il y a du nationalisme, mais aussi beaucoup de socialisme… ». Ce libéral, qui se voit plus proche, en France, du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, a d’ailleurs refusé de rejoindre le groupe parlementaire européen auquel appartient le Front National. Pourtant, Farage, qui a récemment déclenché un tollé en déclarant vouloir abroger la loi anti-discrimination, a dû faire face à des accusations de racisme à l’encontre des membres de son parti, dont certains ont gravement dérapé. Des manifestations s’organisent à l’approche du scrutin du 7 mai, obligeant le leader de l’UKIP à multiplier les déclarations rassurantes et à réfuter toute appartenance à un quelconque extrémisme.
Un rôle d’arbitre
Si le score qu’obtiendra le parti de Nigel Farage à l’issue des prochaines élections fait l’objet de nombreuses spéculations, le mode de scrutin uninominal à un tour ne lui permettra d’obtenir que quelques sièges sur les 650 à pourvoir. Une dizaine tout au plus, selon les analystes politiques . Nigel Farage, qui se présente en personne dans le district sud de Thanet (comté du Kent), met son avenir de leader de l’UKIP dans la balance : s’il ne remporte pas le siège de député, il quittera la présidence du parti, annonce-t-il dans son livre qui vient de paraitre . Sa victoire semble pourtant assurée, et les sondages le placent devant le candidat du Labour.
Pour l’heure, la stratégie de l’UKIP, qui n’a ni les moyens, ni les ambitions de gouverner, s’oriente vers une vampirisation du débat public, obligeant les autres partis à axer leurs thèmes autour de l’Europe et de l’immigration. Avec un certain succès, puisque le premier ministre David Cameron a dévoilé un projet visant à mettre sous condition les prestations sociales attribuées aux étrangers, et a annoncé la tenue d’un referendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, qui devrait être organisé d’ici à la fin de 2017. Preuve que la pression exercée par l’UKIP fonctionne à plein sur le parti conservateur.
Nigel Farage qui, en 2010, a réchappé au crash de son avion, avait déclaré : « Je crains fort que cela ne vous apporte la preuve que je suis immortel ! ». Immortel, peut-être pas, mais promis en tout cas à un bel avenir sur la scène politique britannique.
Sources des photos : telegraph.co.uk / www.mirror.co.uk