Présidentielle de 1969 : Louis Ducatel, le candidat antisystème
Atypique. Quel autre adjectif pouvait mieux définir Louis Ducatel ? Rien dans sa biographie ne concorde avec l’image que l’on se fait d’un homme politique tel qu’on l’entend habituellement. Bien oublié de nos jours, cet OVNI du paysage politique français fut pourtant sous le feu des projecteurs lorsqu’il décida, en 1969, de se présenter aux élections présidentielles.
69, année politique
Le 28 avril 1969, le général de Gaule publie un communiqué laconique faisant l’effet d’un coup de tonnerre : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Sa décision fait suite à l’échec du referendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation dont le scrutin s’était tenu la veille.
La classe politique semble être prise de court, notamment la gauche qui ne parvient pas, comme en 1965, à se rassembler derrière une candidature unique. Ce sont donc sept candidats qui, ayant réuni les 100 parrainages alors nécessaires, briguent le mandat suprême de la Ve république. Parmi eux figure un personnage singulier à plus d’un titre : Louis Ducatel.
Une campagne menée dans l’urgence
Les postulants ne disposent dès lors que d’un petit mois avant le premier tour. C’est au travers des traditionnels spots de campagne que les Français découvrent le visage de ce candidat sans étiquette se proclamant « radical-socialiste indépendant ». L’homme, âgé de 67 ans, semble peu à l’aise devant la caméra, consulte sans cesse ses notes en fronçant ses épais sourcils noirs et s’exprime d’une voix mal assurée. Mais dès qu’il aborde ses thèmes de prédilection, le ton se fait plus ferme et le candidat ne rechigne pas à effectuer quelques envolées lyriques. Il faut voter pour lui, le « seul candidat libre de cette élection », « pour ouvrir les portes d’un avenir meilleur ». «L’élection de Louis Ducatel, ce sera votre revanche contre ceux qui vous ont menti ».
Louis Ducatel sera le « président-citoyen »
Louis Ducatel va alors se démener pour se faire entendre : articles de presse, interventions télévisées, passages à la radio, sa personnalité commence à intriguer. Son programme aussi. Celui qui dénonce sans relâche les excès de la technocratie, de l’administration et de la fiscalité propose des solutions loin d’être fantaisistes. Il envisage de mener une vaste politique de grands travaux d’intérêt national ainsi qu’une réforme de la fiscalité. Un plan d’urgence pour l’agriculture permettra de venir en aide à une profession déjà menacée. Les salariés et les cadres profiteront du tiers des profits de l’entreprise et une instance regroupant les « Etats unis et fédérés d’Europe » sera créée.
Les sondages lui accordent 2 % des intentions de vote. Qu’à cela ne tienne! Louis Ducatel prophétise un raz-de-marée et il l’assure : il fera au moins 22 % et finira second du premier tour. Au 1er juin 1969, le suspense est à son comble : Louis Ducatel parviendra-t-il à défier Georges Pompidou, le grand favori de cette élection ?
Un CV hors du commun
Cette candidature marque le point d’orgue d’une carrière pour le moins foisonnante. Car Louis Ducatel semble avoir vécu mille vies. Issu d’une famille modeste, né « quand le siècle avait deux ans », son enfance est marquée par la misère. Ayant mené de brillantes études d’ingénieur, il fonde en 1938 la CAPAG, une entreprise de canalisations qui remporte de lucratifs marchés.
La Seconde Guerre mondiale perturbe ses projets alors qu’il rejoint les rangs de la Résistance et se comporte en héros. Entrepreneur indépendant, il repart de zéro à la fin du conflit et se lance dans le BTP. Ecrivain à ses heures, Louis Ducatel est aussi connu comme un peintre de talent, inventeur de surcroit d’une gouache ultrarésistante, le Métacryl. En 1969, sa carrière politique est, elle aussi, bien remplie puisqu’il a déjà été vice-président du conseil général de la Seine ainsi que vice-président du conseil municipal de Paris.
Louis Ducatel, un « petit » candidat ?
Lorsque les journalistes lui font remarquer qu’il n’est qu’un « petit » candidat, Louis Ducatel s’offusque et répond avec humour : « on a dit que j’étais petit. Ce n’est pas vrai, je mesure 1,72m ». Mais son espoir s’effondre lorsque lui parviennent les résultats du scrutin. Les « faux sondages d’opinion » n’auront cette fois pas menti : il n’aura mobilisé en sa faveur que 286.447 voix, soit 1.27 % des suffrages, ce qui le place en avant-dernière position devant Alain Krivine.
Au second tour, Georges Pompidou remporte l’élection dans un duel l’opposant à Alain Poher. Amer, se retirant de la vie politique, Louis Ducatel continue néanmoins son travail d’artiste et décède en 1999 à Mougins, dans les Alpes-Maritimes. Peu de temps avant sa mort, il réalise lui-même son tombeau au Père-Lachaise, dont la longue épitaphe résume un parcours impressionnant. De quoi perpétuer la mémoire d’un candidat décidément pas comme les autres.
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