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La protection des créations culinaires, un enjeu français encore négligé

Publié le 19 octobre 2022,
par VisionsMag.
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Paul Bocuse était célèbre pour son poulet aux écrevisses, Guy Savoy pour sa soupe aux artichauts… Si tous les grands chefs ont une œuvre culinaire qui les définit, il est pourtant difficile de les protéger juridiquement. Mais cela pourrait bien changer dans un avenir proche !

En décembre 2021, le gouvernement de Jean Castex lance « l’Année de la Gastronomie ». Si l’objectif initial est évidemment d’apporter le soutien de l’État à la filière restauration très impactée par la pandémie de Covid-19, c’est également l’occasion de renforcer la protection juridique sur les secrets de fabrication et le savoir-faire culinaire. 

Un vide juridique étonnant

En effet, bien qu’indispensable à l’économie française et indissociable de notre rayonnement culturel, la gastronomie et les recettes de cuisine en particulier ne sont pas protégées par les droits d’auteurs et la propriété intellectuelle.

Dans le code de la propriété intellectuelle, l’article L111-1 stipule ainsi que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création, d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous ». 

Selon cette définition, une recette de cuisine née de l’expérimentation et de l’imagination d’un chef devrait donc profiter d’une protection similaire. Pourtant, la jurisprudence française (et même européenne) refuse depuis longtemps de protéger les recettes par le statut de droit d’auteur. Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait notamment jugé en 1997 qu’une recette de cuisine peut être protégée dans son expression littéraire sans pour autant constituer en soi une œuvre de l’esprit. 

En somme, le texte d’une recette originale peut être protégée s’ il est écrit dans un livre de cuisine, mais la recette en tant que telle ne jouit pas de la même protection. Elle peut donc être utilisée à l’infini, pour ne pas dire plagiée, par tout un chacun. Y compris par un concurrent mal intentionné.

Quelles protections pour les recettes de cuisine ?

De toute évidence, cela peut provoquer l’ire de quelques grands cuisiniers, dont certains sont pourtant si créatifs qu’ils pourraient revendiquer le titre d’inventeur. Et ce même si quelques astuces leur permettent toutefois de protéger juridiquement leurs créations.

Par exemple, si la recette ne peut être totalement exclusive, son nom peut être déposé et ainsi protégé. C’est d’ailleurs pourquoi les noms de chefs tels qu’Alain Ducasse ou le chocolatier Pierre Hermé sont aujourd’hui des marques déposées. 

D’une manière similaire, l’apparence graphique d’un plat ou d’un dessert peut également être protégée via un dessin ou un modèle. Cette option est généralement utilisée par les grands pâtissiers pour protéger leurs gâteaux mais elle s’applique également au dressage des plats.

Enfin, la réalisation d’une recette s’apparente à un savoir-faire. Par conséquent, la législation relative au secret de fabrication peut s’appliquer. Le problème, c’est qu’une recette ne peut être secrète si elle est publiée, et donc rendue célèbre. De plus, la recette d’un grand chef est généralement élaborée en collaboration avec ses équipes (ou « brigade »). Un chef devra donc, au moment de recruter son staff, inclure dans le contrat de travail une clause de non-concurrence visant la recette qu’il souhaite protéger. Celle-ci interdira au salarié de divulguer certaines informations (ingrédients, quantité, temps de cuisson, etc…) qui lui auraient été communiquées durant la collaboration avec le chef. Néanmoins, pour respecter cette clause, une contrepartie financière devra être fournie à l’employé(e) en question.

Bientôt un certificat de création culinaire ?

Vous l’aurez compris, ces solutions, bien que courantes de nos jours, sont loin d’être parfaites. C’est pourquoi l’Assemblée nationale planche depuis 2019 sur une loi relative à la protection des recettes et créations culinaires. En l’état, cette dernière s’apparente surtout à un amalgame des lois des droits de propriété intellectuelle (comme les droits d’auteur), le droit des brevets et le droit des dessins ou modèles.

Sous sa forme actuelle, toute création culinaire serait ainsi protégée pendant 20 ans à condition que son auteur s’acquitte d’une redevance annuelle au montant encore inconnu. De plus, pour s’accorder avec le droit du patrimoine, un caractère gustatif propre, qui « donnerait une impression de non déjà goûté », sera nécessaire. En somme, l’œuvre culinaire devra démontrer une certaine originalité de goût. Inutile donc d’essayer de déposer la recette des spaghettis à la bolognaise!

Sources des photos : Le Figaro – Alatis.eu – plass.com

La protection des créations culinaires, un enjeu français encore négligé
Si tous les grands chefs ont une œuvre culinaire qui les définit, il est pourtant difficile de les protéger juridiquement.
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