Depuis plus de quarante ans, Sebastião Salgado parcourt la planète pour photographier le monde et les hommes. Ses clichés en noir et blanc montrent la violence et la beauté des hommes et de l’univers. Ils sont aussi le témoignage d’un humaniste qui interroge avec la lumière.
Un enfant marche seul au milieu d’une immensité désertique. Autour de lui, un horizon dévasté d’arbres embryonnaires et déjà calcinés. La photo est extraite de la série Exodus, que Salgado consacre, à la fin des années 90, aux populations déplacées dans le monde. Comme tous les clichés du photographe brésilien, elle offre la vision d’un drame silencieux. Les photos de Salgado ne versent pas dans le sensationnel ou dans le spectaculaire, encore moins dans le voyeurisme. Ce sont des invitations au recueil et au questionnement : pourquoi ? Pourquoi cette beauté si évidente des hommes et de la nature débouche-t-elle sur la misère, la famine, l’exploitation, la mort. Comme il aime à le rappeler, Salgado n’est pas un reporter, ni un témoin engagé ou un anthropologue, c’est un photographe, un homme qui interroge le monde avec la lumière.
Tentative d’assassinat de Ronald Reagan
Salgado est né en 1944, au Brésil dans une ferme de l’état du Minas Gerais (sud du Brésil). Il décrira lui-même ce lieu comme un paradis. Jusqu’à l’âge de quinze ans, il vit au milieu d’immenses forêts et d’animaux sauvages. Puis il part étudier à la ville. A Sao Paulo, où il suit un cursus en économie, il est confronté à la brutalité du régime militaire. Obligé de s’exiler, il commence en Europe une carrière d’économiste au sein de l’Organisation Internationale du Café (ICO). Mais le destin l’appelle ailleurs. Très vite la photo vient envahir sa vie.
Rapidement il intègre les plus prestigieuses agences, Sygma en 1974, Gamma en 1975 et puis Magnum en 1979. Il fait ses armes en tant que reporter. Il couvre notamment la guerre en Angola, le prise d’otages d’Entebbe (Ouganda), la tentative d’assassinat du président américain Ronald Reagan. Très vite cependant son travail dépasse le simple témoignage du journaliste.
Des cascades de morts
La puissance esthétique de ses clichés en noir et blanc, la force de ses compositions valent à Salgado une renommée grandissante. Dès lors, il va choisir lui-même ses sujets et se lancer dans des projets au long terme. C’est au cours de ces années qu’il va réaliser ses grandes séries. Celles qui le feront connaître au quatre coins du monde : « La mine d’or de Serra Pelada » en 1994, « Terra » en 1997, « Exodus » en 2000. Dans chacun de ces reportages, on retrouve la touche Salgado ; le contraste permanent entre beauté et violence. Comme dans « La main de l’homme » en 1993, une série consacrée au travail manuel à travers le monde. Extraction du charbon en Inde, récolte de la canne à sucre au Brésil, distillation du vétiver à la Réunion. On y découvre la splendeur des gestes et des corps, et la terrible condition d’hommes et de femmes œuvrant comme des bêtes de somme.
En travaillant pour la série « Exodus », Salgado va faire l’expérience de la violence ultime. Nous sommes au Rwanda et les morts se comptent chaque jour par milliers, les cascades des fleuves crachent des monceaux de cadavres. C’est un traumatisme. Salgado dont l’humanisme éclaire toutes les photos, perd foi en l’espèce humaine. Il en tombe malade. Son corps s’épuise. Un ami médecin qu’il consulte à Paris, lui livre un étrange diagnostic : s’il veut s’en sortir, il faut arrêter la photographie.
2 millions d’arbres
Salgado sait écouter la nature, y compris la sienne. Il accepte cet avis et met un terme à son activité. Avec sa femme, il retourne dans sa ferme natale. Mais là, un autre spectacle de mort l’attend. Les terres familiales que lui ont léguées ses parents, sont devenues un immense désert où rien ne pousse. Là où cinquante ans plus tôt, la forêt couvraient 50% de l’espace, elle n’en couvre maintenant plus que… 0,5%. Face à cette désolation, sa femme le met au défi : reconstruire le paradis de l’enfance. Le couple va se lancer dans un projet monumental. Il faudra plus de deux millions d’arbres, provenant de centaines d’espèces différentes pour faire revivre l’écosystème de la ferme. Mais cela marche : les arbres poussent à nouveau. Cette renaissance inspire à Salgado l’idée d’une nouvelle série. Après avoir photographié l’espèce humaine, il va maintenant se consacrer à la nature. Il veut retrouver le monde des origines, celui qui n’est pas encore détruit par l’homme.
Ce projet fou va le conduire pendant huit ans à parcourir la planète en quête des jardins d’Eden encore préservés. Le résultat est un livre et une exposition itinérante : Genesis. Les photos dépeignent cette fois un monde de silence et d’harmonie, comme ce peuple de manchots migrant sur les glaces, où ce glacier géant miroitant au soleil ou encore ce léopard s’abreuvant dans une eau limpide. On y retrouve la marque de Salgado, le noir et blanc, l’éclairage « biblique », qui fait penser aux peintres de la renaissance flamande. Encore une fois, la lumière du photographe invite au silence et à la méditation. La beauté provoque un ravissement et des questions. L’harmonie est-elle encore possible? L’homme pourra-t-il bâtir sans détruire ? Salgado le croit. Ses photos le rêvent.
Sources photos :www.blogs.cdl.ch / www.la-croix.com