The Uncensored Library, cheval de Troie de la liberté d’expression
The Uncensored Library, bibliothèque virtuelle créée par Reporters sans Frontières au sein du jeu Minecraft, contribue à défendre la liberté de la presse. Encore limitée à ce jour, elle fait toutefois figure d’exemple à suivre dans l’innovation contre la censure.
C’est hébergée sur les serveurs du jeu vidéo le plus diffusé au monde, Minecraft, que The Uncensored Library, La Bibliothèque Libre en français, a vu le jour le 12 mars 2020. Sa création pixelisée est le fruit d’un travail colossal auquel 16 pays se sont affairés pendant 250 heures.
Des journalistes de l’ONG Reporters sans Frontières sont à l’origine de ce projet réalisé conjointement par les développeurs de BlockWorks, l’agence de communication DDB Berlin et l’agence de création et de production digitale MediaMonks.
S’il s’agit d’un outil prometteur au profit de la libre diffusion de l’information, cette bibliothèque peut-elle être rendue accessible à ceux qui en ont le plus besoin ?
La lutte contre la censure gagne à être innovante.
Créé par Markus Persson en 2009, puis acquis par Microsoft pour la somme de 2,5 milliards de dollars en 2014, Minecraft et ses quelque 145 millions joueurs connectés chaque mois est indéniablement le jeu le plus populaire au monde. Rien ne semble impossible dans cet univers virtuel pour lequel Microsoft a déjà développé une version à vocation éducative destinée à un usage scolaire.
À l’heure du contrôle de l’information et de la censure exercés sur les réseaux sociaux et de l’influence du pouvoir et de la finance sur les géants de la presse, La Bibliothèque Libre est représentée dans un style néoclassique traditionnellement synonyme de pouvoir, de culture et d’influence.
C’est tout naturellement que cette bibliothèque numérique a ouvert ses portes dans un jeu 3D dit ‘Open World’, d’après Christian Mihr, directeur de Reporters sans Frontières Allemagne. Ce format a été retenu en partant du postulat qu’un jeu vidéo n’est pas perçu à priori comme une menace par un État autoritaire. Cette initiative est l’un des exemples du foisonnement des possibles offert depuis Second Life, l’un des premiers mondes virtuels du genre créé en 2003.
Faisant suite à la création en 2018 de The Uncensored Playlist qui permet d’accéder par la musique à des textes censurés, The Uncensored Library prouve que rendre publique l’information sensible à travers un jeu vidéo est une des ‘failles’ à explorer au service de la liberté de la presse. Diffuser l’information là où personne ne l’attend pas est une clé, un outil adapté à la jeune génération ‘connectée’, auquel les acteurs de la censure ne sont pas préparés.
À l’instar des messages radiophoniques codés de la BBC ou de l’appel du 18 juin du Général de Gaulle, les défenseurs de la liberté ont toujours su utiliser les technologies de leur époque à leur profit. Pendant que des réseaux sociaux et des journaux subissent certaines formes de censure ou sont rendus inaccessibles, Minecraft reste allumé sur les écrans pour de nombreux joueurs et les écrits de Jamal Khashoggi, à titre d’exemple, journaliste tué par un commando saoudien en 2018, y sont toujours disponibles.
Une Bibliothèque Libre pour tous ou l’espoir de son succès.
En qualité de jeu, La Bibliothèque Libre jouit pour l’heure d’une liberté que n’a pas toujours la presse dans le monde. Peut-elle être rendue pour autant accessible à tous ?
Cinq sections principales sont mises en avant au sein de La Bibliothèque Libre consacrées à l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Egypte, le Vietnam et au Mexique. Mais quid d’autres pays aux régimes stricts où la liberté d’expression est également en berne ? L’emprisonnement de journalistes et des civils comme au Laos, les menaces qu’ils leur sont faites, comme à Jorge Carrasco, journaliste au Mexique, ainsi que les morts qui sont à déplorer est l’apanage de bien d’autres régions du monde.
Une connexion Internet via un ordinateur pour démarrer le jeu Minecraft est dans certains cas extrêmement compliqué, voire impossible. D’après atlasocio.com, le téléchargement d’un film de 5 Go prend moins de huit minutes à Taïwan lorsqu’il met plus de 30 heures au Yémen. Les 29.99 dollars nécessaires pour télécharger légalement Minecraft ‘Starter Edition’ représente aussi un frein à l’accessibilité de la bibliothèque.
Toutefois, The Uncensored Library ne demeure pas inactive et s’enrichit. Des articles concernant le Brésil, la Chine, l’Égypte, la Hongrie, l’Iran, la Birmanie, la Corée du Nord, la Russie, la Thaïlande et le Turkménistan ont rejoint récemment la bibliothèque dans une section dédiée à la censure née de la gestion de la crise sanitaire ‘Covid 19’. Les améliorations apportées le mois dernier avec le projet The Uncensored Library Extended, porte à croire que cette bibliothèque n’a pas dit son dernier mot.
En Birmanie, victime d’un coup d’État le 21 février 2021, l’accès à la 4G a été coupé le 1er avril, un symbole de liberté très fragile auquel les États autoritaires ne manquent pas de s’attaquer et où l’existence de La Bibliothèque Libre ne peut rien y changer. La Birmanie a déjà essuyé plus de 700 morts à ce jour.
Conscients des limites du projet, les créateurs de The Uncensored Library se sont focalisés sur des pays où la censure est à l’œuvre, mais néanmoins, bénéficiant d’une communauté de joueurs Minecraft solide. En cela, l’effort concentré permet de démontrer l’intérêt de la démarche dans un test grandeur nature, certes limité, mais bien fonctionnel et porteur d’espoir. La bibliothèque semble par ailleurs bénéficier d’améliorations régulières.
L’univers prolifique des réseaux sociaux, des jeux en ligne et des technologies ne cesse d’offrir de nouvelles opportunités et concourent à faciliter l’accès à l’information libre. Elle peut désormais compter sur la forte communauté de joueurs de Minecraft pour être ses nouveaux ambassadeurs. L’union faisant la force, les observateurs et concepteurs du projet s’attendent à ce que l’initiative porte ses fruits et procure l’inspiration nécessaire pour repousser toujours plus les limites de la liberté d’expression.
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