Theresa May sous pression pour assouplir sa position sur le Brexit
par William James et Kylie MacLellan
LONDRES (Reuters) – Theresa May est toujours à la recherche d’un gouvernement viable en Grande-Bretagne, près d’une semaine après des élections législatives anticipées qui l’ont dépouillée de sa majorité. Et la Première ministre doit en outre faire face à des pressions de plus en plus insistantes pour assouplir sa position sur le Brexit.
Après une première entrevue mardi après-midi à Downing Street, la dirigeante conservatrice a revu mercredi Arlene Foster, la cheffe de file des unionistes nord-irlandais du DUP.
Avec ses 10 élus à la Chambre des communes, le Parti unioniste démocratique est devenu un allié indispensable des Tories qui ne disposent plus que de 317 élus, à neuf voix de la majorité absolue.
Mais l’incendie meurtrier qui s’est déclaré dans la nuit de mardi à mercredi dans une tour d’habitation de l’ouest de Londres a bouleversé l’agenda politique. « Nous continuons d’avoir des discussions, mais aujourd’hui, ainsi que vous l’imaginerez bien, l’accent a été mis sur cette terrible tragédie à Londres », a déclaré Theresa May dans une allocution télévisée diffusée dans la soirée.
L’incendie a fait au moins douze morts et des dizaines de blessés, selon le dernier bilan, toujours provisoire, diffusé par la police britannique.
Arlene Foster est retournée de son côté en Irlande du Nord, mais a laissé plusieurs cadres de son parti à Londres pour poursuivre les discussions, a indiqué la chaîne de télévision Sky News.
Au Parti conservateur, on indiquait à la mi-journée que les nouvelles discussions entre May et Foster avaient permis de se rapprocher d’un accord susceptible de permettre au gouvernement de se maintenir au pouvoir. Mais d’après la BBC, aucune n’annonce n’est attendue avant la semaine prochaine.
Or le temps presse puisque les négociations formelles entre Londres et les Européens doivent débuter le 19 juin.
MAY FRAGILISÉE SUR LE BREXIT
Theresa May avait convoqué des législatives anticipées dans l’espoir d’obtenir un mandat « fort et stable ». Son revers électoral l’a considérablement affaiblie politiquement et remis en question sa stratégie d’un « Brexit dur », à l’heure où certains appellent le Royaume-Uni à rester dans le marché unique et l’Union douanière européenne.
Après un dîner à Paris mardi soir avec le président français Emmanuel Macron, elle a assuré que les négociations sur la sortie de son pays de l’Union européenne commenceraient comme prévu la semaine prochaine.
Mais les appels à un changement de stratégie s’accumulent. Pro-européens et eurosceptique du Parti conservateur se font face et May a reconnu qu’un consensus plus large devait être trouvé.
Le secrétaire d’Etat au Brexit, David Davis, « Brexiter » convaincu, a répété lui que l’approche du gouvernement sur la sortie de l’Union européenne n’avait pas changé.
Le Times rapporte que le ministre des Finances, Philip Hammond, qui a fait campagne pour le « Bremain » lors du référendum du 23 juin 2016, entend défendre auprès de la Première ministre un maintien du Royaume-Uni dans l’Union douanière afin d’adoucir les contours du Brexit.
Certains Tories appellent même à conclure un accord national incluant milieux d’affaires et députés de tout bord politique pour fixer une position commune en vue des négociations.
Malgré une ligne eurosceptique, les unionistes nord-irlandais ont pour leur part regimbé devant certaines conséquences concrètes d’un « Brexit dur », notamment le retour d’une frontière physique avec la République d’Irlande, et le sujet fait partie des revendications qu’ils ont transmises aux conservateurs.
« Je pense que des pressions pour un Brexit plus doux » vont s’exercer, a résumé le prédécesseur de Theresa May, David Cameron, lors d’une conférence en Pologne, selon des propos rapportés par le Financial Times.
Face à ces exigences, la dirigeante britannique garde en outre à l’esprit que les divisions des conservateurs sur le dossier européen ont provoqué dans le passé les chutes de Margaret Thatcher, John Major et de son prédécesseur.
Côté européen, les dirigeants tentent de prédire l’angle d’attaque choisi par Londres pour les négociations.
Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a dit souhaiter un accord limitant les conséquences négatives pour le bloc européen, sans pour autant affaiblir Londres. Il a prédit que les Britanniques finiraient par regretter leur départ.
Interrogé sur ces propos, Emmanuel Macron a indiqué que la porte était « évidemment toujours ouverte » tant que la négociation du Brexit n’était pas achevée mais, a-t-il ajouté, il sera « difficile de revenir en arrière ».
RISQUE POUR L’IRLANDE DU NORD
La conclusion d’un accord avec le DUP risque parallèlement de déstabiliser la scène politique nord-irlandaise, en accroissant l’influence des unionistes face aux nationalistes républicains partisans d’un rattachement à l’Irlande.
L’ex-Premier ministre britannique John Major s’est dit ainsi inquiet du projet de Theresa May de gouverner avec le DUP, craignant qu’il ne pénalise le processus de paix qu’il a contribué à enclencher, et ne provoque un retour à la violence.
A Belfast, les nationalistes du Sinn Féin redoutent eux aussi cette perspective, craignant qu’un tel rapprochement ne remette en cause les équilibres politiques en Ulster et ne porte atteinte à la neutralité du gouvernement britannique sur les tractations qui doivent permettre de former un nouvel exécutif régional biconfessionnel – le gouvernement de « dévolution » de Belfast a éclaté en janvier dernier et n’a pas été remplacé par une nouvelle équipe.
Theresa May compte rencontrer ce jeudi les dirigeants des principaux partis politiques d’Irlande du Nord pour favoriser un accord entre unionistes et nationalistes sur la formation d’un nouvel exécutif régional.
(Julie Carriat, Gilles Trequesser et Henri-Pierre André pour le service français)