Voisiner : un art social en quête de sens Voisiner : un art social en quête de sens Voisiner : un art social en quête de sens
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Voisiner : un art social en quête de sens

Publié le 12 juin 2025,
par VisionsMag.
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À l’heure où les fêtes de voisins fleurissent avec l’arrivée de l’été, la question des relations de proximité ressurgit. Que veut dire voisiner aujourd’hui ? Entre gestes de solidarité, attentes implicites et frontières floues entre convivialité et surveillance, cette pratique sociale ordinaire révèle bien des tensions… et des opportunités.

Les beaux jours reviennent, et avec eux, les tables pliantes dans les halls d’immeubles, les salades partagées sur les trottoirs et les conversations timides autour d’un verre de jus ou de rosé. La Fête des voisins, rituel désormais bien établi du mois de mai ou juin, symbolise cette volonté de retisser des liens dans un monde qui a tendance à les délier. Mais au-delà d’un événement ponctuel, que signifie vraiment « voisiner » au quotidien ? Ce mot discret, presque oublié, désigne pourtant une réalité fondamentale : celle des relations de proximité. Et aujourd’hui, ces relations interrogent autant qu’elles rassurent.

Le verbe « voisiner » remonte au Moyen Âge et signifie entretenir des liens avec ses voisins. Longtemps mis de côté dans la langue courante, il revient sur le devant de la scène grâce aux sciences sociales. La sociologue Joanie Cayouette-Remblière, chercheuse à l’Ined, en a fait le cœur d’une vaste enquête, publiée dans l’ouvrage collectif Ce que voisiner veut dire. Cette recherche met en lumière la diversité et la complexité des formes que prend le voisinage dans la France contemporaine.

Ni amis ni inconnus : ces liens discrets qui structurent la vie ordinaire

Loin de disparaître, le lien de voisinage persiste, mais il varie fortement selon les lieux. Dans les zones rurales, il reste structuré autour d’une entraide concrète : on garde les enfants, on prête des outils, on veille les uns sur les autres. En milieu urbain, les échanges sont plus discrets, souvent limités à des salutations, mais ils peuvent aussi donner lieu à des formes choisies de convivialité, selon les affinités et les contextes locaux.

Voisiner n’est jamais automatique. Cela demande du temps, de l’intention, et une forme de savoir-faire relationnel. On peut voisiner en disant bonjour régulièrement, en proposant un coup de main, en initiant une conversation sur le pas de la porte. Cela peut aussi passer par l’organisation d’événements collectifs, comme les fêtes de voisins, ou par des interactions numériques, via des groupes de quartier sur les réseaux sociaux. Le plus souvent, voisiner repose sur un équilibre subtil entre présence et discrétion, engagement et retrait.

Le revers de la convivialité : normes invisibles et exclusions ordinaires

Il existe pourtant des pièges. Trop de proximité peut mener à l’indiscrétion, à des tensions ou à des malentendus. À l’inverse, l’indifférence peut nourrir la méfiance. Le voisinage peut également devenir un espace de surveillance, de jugement ou d’exclusion. L’enquête dirigée par Joanie Cayouette-Remblière montre que certaines populations – jeunes, personnes précaires, familles perçues comme « différentes » – peuvent être écartées des dynamiques de voisinage, voire stigmatisées.

Voisiner, ce n’est donc pas simplement être aimable sur le palier. C’est s’inscrire dans une dynamique sociale, faite de négociations implicites, de petits gestes et parfois de grandes attentes. C’est accepter l’autre tel qu’il est, tout en construisant un minimum de lien commun. À l’heure où l’isolement progresse, où l’anonymat règne en ville, voisiner reste un geste simple mais précieux. Et si les fêtes de voisins peuvent en être la porte d’entrée, elles rappellent surtout que derrière chaque mur, il y a des gens, et peut-être, une occasion de tisser un fil.

Photos : fontenay-aux-roses.fr et Fnac.fr et francebleu.fr

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