Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires
Biographie

Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires

Publié le 21 juin 2017,
par VisionsMag.
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Les journalistes se bousculent au tribunal de Cologne, en cette journée du 5 septembre 2011. C’est en effet à cette date que s’ouvre le procès du couple Beltracchi, que les médias ont surnommé « les Bonnie & Clyde de l’art ». Wolfgang, longs cheveux blonds descendant jusqu’aux épaules et allure de rock-star, étreint sa femme Helene devant les crépitements des flashs. Un couple glamour en diable, qui fera la une de nombreux magazines et dont les « exploits », depuis, ne cesseront d’être narrés.

L’une des arnaques les plus folles que le monde de l’art n’ait jamais connu

Car l’histoire de Wolfgang Beltracchi est, il est vrai, digne d’un roman. Né dans une petite ville d’Allemagne en 1951, le jeune Wolfgang passe des heures dans l’atelier de son père, qui exerce la profession de restaurateur de tableaux. Ce dernier, constatant les progrès de sa progéniture, le met au défi, à l’âge de 14 ans, de reproduire une œuvre de Picasso. Dans son autobiographie , Wolfgang raconte que son père, tellement sidéré par la perfection de la reproduction, arrêta de peindre durant plusieurs mois.

Plus porté par le mouvement hippie que par la peinture, Beltracchi voyage, écoute de la musique et use et abuse de substances prohibées. Il n’abandonne pas pour autant les pinceaux et cherche son propre style, non sans succès, parvenant à vendre quelques-unes de ses toiles. Mais son vrai talent est ailleurs.

Une idée de génie trouvée par Wolfgang Beltracchi

Extrêmement doué pour reproduire des toiles de maître, Wolfgang Beltracchi est par ailleurs lucide sur les risques encourus par le métier de faussaire. C’est alors que lui vient une idée géniale : au lieu de reproduire des œuvres existantes, pourquoi ne pas créer de toutes pièces des tableaux « à la manière de » ? Il se plonge dans la lecture des catalogues raisonnés, ces inventaires listant toute les productions d’un artiste, y compris celles qui ont disparu.

La Seconde Guerre mondiale, par ses spoliations et ses destructions, lui offre un terreau fertile. En cette fin des années 1970, le marché de l’art enregistre chaque jour de nouveaux records de ventes, et la mode est au surréalisme et au fauvisme. Beltracchi se documente, repère les œuvres devenues introuvables, et les recrée. Méticuleux, il parcourt les brocantes pour y dénicher des tableaux du début du siècle et les efface pour en récupérer la toile et le châssis. Il s’immerge aussi dans les biographies des artistes qu’il reproduit afin de se rapprocher le plus possible de leur état d’esprit. Raoul Dufy était gaucher ? Il peindra donc de faux Dufy de la main gauche. Il devient un spécialiste de Max Ernst, et produire un faux de ce peintre ne lui prend que quelques heures.

Les plus grands experts ont été grugés

La petite entreprise de Wolfgang Beltracchi passe à la vitesse supérieure grâce à deux rencontres décisives. Otto Schulte-Kellinghaus, demi-mondain charismatique, se chargera de jouer les intermédiaires auprès des collectionneurs. Helene, sa femme, qu’il rencontre en 1992, sera sa complice et son atout de charme. C’est elle qui jouera le rôle d’une héritière voulant revendre sa collection familiale. Un scénario idéal pour justifier la provenance de dizaines de prétendus chefs-d’œuvre.

Pour rendre l’histoire encore plus plausible, Helene n’hésite pas à poser devant un appareil photo des années 1920, les toiles bien en évidence sur le mur du salon. Les acquéreurs sont dupés par l’image « d’époque » de cette fausse ancêtre et mordent immédiatement à l’hameçon. Les experts authentifient les œuvres, les galeristes les exposent, les commissaires-priseurs orchestrent des ventes où les tableaux s’arrachent à prix d’or. Les musées, eux-aussi, tombent dans le piège, tels que le MoMA de New York ou l’Hermitage de Saint-Pétersbourg.

Un verdict clément

Grisés par leur succès, les Beltracchi dépensent sans compter, achètent des propriétés en France et en Allemagne, voyagent beaucoup… et perdent peu à peu leur légendaire prudence. Pressé de finir une œuvre de Campendonk, Wolfgang commet l’erreur d’utiliser une peinture contenant des composants inconnus à l’époque de l’artiste allemand. Reconnu comme faux par les experts, il ne faudra que quelques mois aux limiers pour retrouver l’auteur de la supercherie.

Le procès des Beltracchi aurait pu remettre en question les pratiques du marché de l’art, microcosme opaque où se mêlent commissions astronomiques, expertises douteuses, évasion fiscale et blanchiment d’argent. Pourtant, au bout de neuf jours, le verdict est prononcé. Wolfgang Beltracchi, qui reconnait avoir produit 14 faux tableaux, est condamné à une peine de six ans de réclusion, son complice Otto à cinq années, et sa femme à quatre ans. Bénéficiant d’un régime de semi-liberté, le couple doit néanmoins rembourser la somme de 20 millions d’euros aux acheteurs ayant été abusés.

Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires
Durant plus de trente ans, Wolfgang Beltracchi a réussi à berner le monde de l’art en produisant des dizaines de faux tableaux.
Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires
Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires
Wolfgang Beltracchi, un hippie au pays des faussaires

Des questions toujours en suspens

Loin d’être montré du doigt, le couple Beltracchi a rencontré, parmi le public et les médias, un écho favorable. Wolfgang, qualifié de génie y compris par ceux qu’il a mystifiés, joue sur l’image d’un Robin des Bois ayant ridiculisé avec brio les milliardaires et les institutions les plus renommées. Depuis leur libération, ils ont élu domicile dans un hôtel particulier de Montpellier et enchaînent les interviews.

Wolgang a repris les pinceaux pour exécuter des œuvres toutes personnelles , qui se revendent plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pourtant, le mystère Beltracchi n’est pas entièrement résolu. Des journalistes, auteurs de « L’Affaire Beltracchi » , ont estimé à 70 le nombre de faux tableaux encore en circulation. De l’aveu même du faussaire, entre 200 et 300 peintures ont été produites de sa main. Certaines sont encore peut-être visibles dans les plus prestigieuses collections.

Photos : kimstim.com / badische-zeitung.de / nouvelobs.com /sungrammata.com