Afrique du Sud / CPI: la  guerre est déclarée? Afrique du Sud / CPI: la  guerre est déclarée? Afrique du Sud / CPI: la  guerre est déclarée?
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Afrique du Sud / CPI: la guerre est déclarée?

Publié le 19 août 2015,
par VisionsMag.
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L’Afrique du Sud, bien que membre fondateur de la CPI, s’est récemment illustrée par une joute politico-judiciaire avec le tribunal de La Haye. En juin, le gouvernement de Pretoria a facilité la sortie d’Omar Al-Bachir de son territoire malgré l’existence de mandats d’arrêts émis par la Cour, et évoque désormais la possibilité de se retirer du statut de Rome.  

Entrave à la justice internationale ?

Le lundi 15 juin dans l’après-midi, le président soudanais Omar Al-Bachir décolle tranquillement de la base militaire Waterkloof, à Pretoria, après avoir assisté en personne au 25ème sommet de l’Union africaine à Johannesburg. Pourtant, la CPI avait vigoureusement exhorté le géant africain à faire appliquer les mandats d’arrêts émis à l’encontre du chef d’Etat pour les crimes commis au Darfour. Que s’est-il passé ?

A la tête du Soudan depuis un coup d’Etat datant de 1989, Omar Al-Bachir est devenu tristement célèbre depuis que le conflit fait rage au Darfour, un conflit qui aurait fait plus de 300 000 victimes et 2 millions de réfugiés depuis 2003. La CPI a réagit en émettant deux mandats d’arrêts à l’encontre du chef d’Etat en 2009 et 2010, pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Depuis, il avait sensiblement limité ses déplacements à l’étranger, et l’Afrique du Sud avait à plusieurs reprises invité le président à ne pas fouler son sol pour éviter tout incident – comme lors de la Coupe de monde de football en 2010.

Le 28 mai 2015, à quelques jours de l’ouverture du sommet de l’UA, la CPI avait rappelé à l’Afrique du Sud son obligation statutaire en tant qu’Etat partie au statut de Rome de faire appliquer les mandats d’arrêts émis contre Omar Al-Bachir, en l’empêchant de quitter le territoire sud-africain et en remettant le président à la Cour. Le 14 juin, à la veille de la clôture du sommet de l’UA, la Haute Cour de Pretoria, qui avait été saisie par l’ONG Southern Africa Litigation Center (SALC), avait appelé les autorités sud-africaines à geler le départ du président soudanais tant qu’elle n’aurait pas statué sur la demande d’arrestation et d’extradition de la CPI. Alors que la Cour délivrait son jugement le 15 juin, statuant que le pays se trouvait dans l’obligation de faire appliquer les mandats d’arrêts de la CPI aussi bien en vertu du statut de Rome que des dispositions de sa propre constitution, les avocats du gouvernement sud-africain ont déclaré qu’Omar Al-Bachir avait déjà quitté Pretoria dans la matinée et se dirigeait vers Khartoum.

Afrique du Sud / CPI: la  guerre est déclarée?
L’Afrique du Sud s’attire les foudres de la justice internationale. Après avoir soigneusement évité d’arrêter le président soudanais, la nation arc-en-ciel menace de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI).

Une décision qui divise : justice vs politique

Cette « fuite en catimini » du président soudanais pourrait sérieusement écorner l’image de l’Afrique du Sud, en particulier la présidence de Jacob Zuma – déjà entachée par les violences ethniques d’avril 2015 à Durban et Johannesburg. Le gouvernement sud-africain a toutefois vainement tenté de sauvegarder les apparences : le soir du 15 juin le ministre sud-africain de la sécurité d’Etat a émis un communiqué prenant acte du jugement de la Cour de Pretoria qui annonçait qu’une enquête approfondie aurait lieu sur les conditions qui ont permis à Omar Al-Bachir de quitter le pays.

La CPI a bien entendu été fortement déçue que l’Afrique du Sud n’ait pas pris ses dispositions pour faire arrêter le dirigeant soudanais, et a souligné que la position de la Cour a toujours été que l’obligation incombant à l’Afrique du Sud de l’arrêter avait toujours était claire. Il est certain que de mettre ainsi en péril la justice internationale – malgré les appels répétés de la Cour et de l’ONU – et de faire un pied de nez à toutes les victimes du conflit au Darfour ne contribue point à embellir l’image du pays. Exprimant également son mécontentement, Jacky Mamou le président du Collectif Urgence Darfour, a commenté que « c’est un formidable encouragement en faveur de l’impunité qu’a donné le chef de la « nation arc-en-ciel », c’est aussi un nouveau mauvais coup fait aux innombrables victimes du régime de Khartoum » (source). La SALC qui avait saisi la Cour de Pretoria a signalé qu’elle compte obtenir des explications de la part de l’Etat sud-africain, voire entamer des poursuites pour entrave à la justice.

L’UA en revanche s’est toujours opposée « à la fronde » de la CPI en Afrique, et avait même adopté une résolution en 2009 contre l’arrestation d’Omar Al-Bachir. Ne soutenant pas les poursuites contre le dirigeant soudanais, celui-ci a été convié au 25ème sommet de l’organisation et a même eu sa place au premier rang pour la photo des chefs d’Etat. Les députés de l’ANC – le parti au pouvoir – ont ainsi voulu décharger le gouvernement sud-africain de sa responsabilité en prétextant qu’Al-Bachir avait été invité par l’UA et non l’Afrique du Sud, et donc que cette affaire ne relevait pas de sa compétence territoriale.

En ne faisant rien pour empêcher le départ du dirigeant, il semblerait que la diplomatie de Pretoria soit rentrée soir rentrée en confrontation directe avec la Cour Pénale, en ligne avec la position de l’UA. Le 25 juin Jeffrey Radebe, le ministre à la présidence, a même déclaré qu’en dernier ressort l’Afrique du Sud pourrait envisager de se retirer de la CPI. Il a ajouté que des négociations seraient ouvertes avec l’UA pour mettre en place des mécanismes « africains » de résolution des conflits pour les crimes les plus graves, et que son pays se voit dans l’obligation de respecter ses engagements internationaux vis-à-vis de l’UA. Une discussion devrait être entamée lors de la prochaine assemblée générale des Etats membres de la CPI.

Il convient de souligner que c’est bien la première fois qu’un appareil judiciaire africain tente de faire appliquer un mandat d’arrêt à la demande de la CPI. Un signe fort pour la justice sud-africaine, même si l’issue de l’exacerbation récente des tensions entre l’Afrique du Sud et la CPI demeure plus qu’incertaine.

Références des images : rts.ch / senego.com