Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi
Biographie

Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi

Publié le 5 octobre 2016,
par VisionsMag.
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Avec son mari, Rukmini Callimachi a établi une règle : « je ne dois pas regarder mon téléphone lorsque nous nous apprêtons à aller nous coucher, parce qu’il ne veut pas voir accidentellement de vidéo de décapitation »(source). Finaliste à plusieurs reprises du prestigieux prix de journalisme Pulitzer, sa méthode d’infiltration de l’Etat islamique (EI) par le biais des réseaux sociaux est révolutionnaire et permet de dévoiler le fonctionnement de l’organisation terroriste la plus redoutée au monde.

L’EI au Mali : le tournant pour Rukmini Callimachi

D’origine roumaine, la journaliste se retrouve presque par hasard sur la piste des djihadistes de l’EI alors qu’elle suit sans grand intérêt le développement du terrorisme au Maghreb.

De 2006 à 2012, en tant que correspondante d’Associated Press en Afrique, elle couvre le développement de la branche d’al-Qaïda en Afrique du Nord sans grande passion. En 2013, avec la libération du Nord Mali par les Français qui repoussent les djihadistes qui avaient pris le contrôle de la zone en 2012, c’est le déclic. Première journaliste sur les lieux, elle récolte à Tombouctou des documents clés révélant le fonctionnement interne d’al-Qaïda. Lettres et communications entre commandants (dont certaines d’Abdelmalek Droukdel, le chef d’al-Qaïda en Afrique), débats idéologiques et rapports comptables sur les dépenses, ces précieux documents rendent jaloux même le FBI.

Après une année passée à décortiquer ces documents en arabe avec l’aide d’un traducteur, elle découvre une autre facette du terrorisme de l’EI, celle d’une organisation structurée et complexe, avec un contrôle politique et économique interne fort et de réels débats idéologiques. Une réalité bien loin des clichés habituels d’une organisation déstructurée n’ayant aucun contrôle sur les cellules et au radicalisme islamique uniforme.

Infiltration par les réseaux sociaux

En 2012 Rukmini Callimachi décide de se rapprocher de l’organisation pour comprendre son fonctionnement et tente de rentrer en contact avec les djihadistes par le biais des réseaux sociaux.

Elle commence alors à essayer de prendre part à leurs forums fermés sur Twitter, une tâche ardue étant donné qu’elle ne parle pas l’arabe et qu’il faut se procurer des mots de passe pour joindre les forums. En procédant par mots clés, elle arrive toutefois à suivre l’évolution de ces comptes et à rentrer en contact avec des sympathisants de l’EI. Mais il lui est difficile de faire la part des choses entre les vrais combattants et ceux qui prétendent l’être.

Alors que les islamistes migrent progressivement vers Telegram, une application chiffrée créant une chaîne de chats, elle parvient à obtenir les adresses exactes nécessaires pour prendre part aux conversations. Sous un pseudonyme qui ne cache pas sa profession de journaliste, elle suit ainsi des discussions de l’EI et collecte de précieuses informations sur son fonctionnement et ses méthodes de recrutement au travers des réseaux sociaux. Elle parvient à avoir un contact rapproché avec Oumar Ould Hamaha, le commandant d’al-Qaïda au Maghreb islamique (responsable des enlèvements d’Occidentaux dans la région), qui finit par l’appeler trois fois par jour et lui confie des informations clés, comme l’achat des missiles surface-air SA-7a et SA-7b en Libye alors que le pays était en train de se déliter.

Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi
La reporter du New-York Times, Rukmini Callimachi, traque les djihadistes de l’Etat islamique sur les réseaux sociaux.
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Etat islamique et journalisme : la vie de Rukmini Callimachi

Des investigations choc

Grâce aux réseaux sociaux et à son contact rapproché avec des membres actifs de l’EI, la journaliste parvient à mener des enquêtes choc sur le fonctionnement des réseaux terroristes.

Elle met ainsi à jour « la théologie du viol » prônée au sein de l’Etat islamique et appliquée en Syrie et en Iraq, c’est-à-dire les règles à respecter pour violer les femmes réduites en esclavage, y compris des mineures. Elle dévoile que l’organisation utilise des méthodes modernes de contraception comme la pilule et des injections de Depo-Provera afin de pouvoir violer les femmes et les revendre en toute impunité en éliminant le risque de grossesse. Elle dissèque également le chemin de vie qui a mené les frères Kouachi sur la voie du djihad armé et la sanglante attaque de Charlie Hebdo en janvier 2015. Elle met en lumière le lien entre la tuerie d’Orlando et l’EI, en soulignant que même les attaques effectuées sans contrôle direct de l’organisation terroriste peuvent soutenir sa stratégie de médiatisation. Elle analyse les méthodes de recrutement et de formation des combattants de l’EI par la branche de renseignement « Emni » et le rôle qu’elle a récemment joué dans les attentats de Paris, Bruxelles et Sousse.

Si certains critiquent la journaliste estimant que ses reportages médiatisent les actions de l’EI et soutient sa stratégie de publicisation, il est indéniable que ses enquêtes apportent de précieuses informations sur la plus grande organisation terroriste mondiale et il convient de saluer son courage pour sa traque des djihadistes sur les réseaux sociaux.

Référence des images : armenianweekly.com / youtube.com / esentatare.com