L’étrange visage de la police américaine L’étrange visage de la police américaine L’étrange visage de la police américaine
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L’étrange visage de la police américaine

Publié le 3 septembre 2014,
par VisionsMag.
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Une opération militaire dans un pays en guerre ? Une importante opération contre un baron de la drogue ? Une scène de guerre civile ? Rien de tout cela : juste de simples policiers chargés de surveiller les manifestations de protestation à Ferguson, Missouri, après la mort de Michael Brown, un jeune homme de 18 ans abattu par la police. Pourtant, les images prises sont troublantes : armes lourdes, hélicoptères militaires, et même véhicules anti-mines ont été déployés contre des manifestants en majorité pacifiques et non-armés. Même si les participants aux manifestations ainsi que les commentateurs ont été choqués par un tel déploiement, la tendance à la militarisation des forces de l’ordre est bien antérieure aux évènements de Ferguson.

Le mouvement date des années 1960, lorsque de violentes émeutes secouaient les Etats-Unis. Quelques policiers ont alors bénéficié de matériel militaire pour faire face à des situations souvent tendues (1). Le pays devait alors faire face à de nombreux mouvements de contestation parfois violents, et était confronté à une multiplication des menaces terroristes. L’utilisation de ces armes lourdes s’est parfois accompagnée de bavures, ce qui n’a pas empêché au mouvement de s’accélérer avec la lutte anti-drogue menée dès les années 1980. Tous les moyens sont alors bons pour obtenir des résultats tangibles, face à des narcotrafiquants de plus en plus lourdement armés. La militarisation des forces de police, tant sur le plan du matériel que sur le plan tactique, est encouragée par le National Defense Act, voté par le Congrès en 1990, décret autorisant l’armée à effectuer des donations de matériel et d’uniformes à la police fédérale.

Les raisons d’une militarisation

L’énorme production de matériel militaire, due à la fois à l’implication des Etats-Unis dans des conflits extérieurs, mais aussi à la puissance de son industrie militaire, a constitué un surplus qui s’est ainsi retrouvé directement entre les mains des policiers. Stock qui n’a fait qu’augmenter depuis le désengagement américain en Irak et en Afghanistan. L’inventaire du matériel mis à la disposition de la police locale est impressionnant, et le New York Times (2) a tenté d’en tenir la comptabilité. Selon le journal, rien que sous l’administration Obama, les forces de l’ordre auraient été dotées de plus de 93 000 fusils mitrailleurs, 432 véhicules blindés, près de 45 000 lunettes de vision nocturne, et 533 hélicoptères, auxquels il faut rajouter quantité de boucliers et de tenues de camouflage. En ce qui concerne le Missouri, 7 véhicules de type MRAPs (3) sont en circulation.

Des méthodes controversées

Ce n’est pas seulement l’équipement qui a changé, mais aussi la vision que les policiers portent sur eux-mêmes. Les spots de recrutement mettent d’ailleurs l’accent sur l’aspect militaire de la police, montrant des actions menées arme automatique au poing et l’utilisation de grenades fumigènes. De plus, les SWAT, ces unités d’élite comparables au GIGN français, et qui bénéficient elles aussi de ce renfort de matériel, sont de plus en plus utilisées pour de simples opérations de maintien de l’ordre. Leur périmètre d’intervention s’est considérablement élargi, les amenant par exemple à prendre d’assaut des boutiques de barbiers dans le simple but de vérifier leurs licences (4), ou encore d’investir violemment une discothèque pour des contrôles liés à la vente d’alcool (5).

Même si elles restent rares, ces interventions musclées, en plus de leur brutalité disproportionnée, engendrent parfois des drames. A Detroit, une balle perdue lors d’une intervention policière a coûté la vie à une fillette de 7 ans. De forts soupçons de racisme et de discrimination pèsent aussi sur la police, accusée de s’attaquer en priorité aux Noirs et aux Hispano-Américains. Le spectacle de policiers équipés comme des soldats attise donc un malaise lancinant parmi les communautés minoritaires.

L’étrange visage de la police américaine
Le drame de Ferguson, dans le Missouri, a révélé la militarisation croissante de la police américaine.
L’étrange visage de la police américaine

Des avis divergents

Des voix contestant cette militarisation se font entendre, et leur message se trouve amplifié par les récents événements de Fergusson. Parallèlement à ce surcroît d’armement, la criminalité est à l’un de ses taux les plus bas depuis 30 ans. Des citoyens et des élus locaux protestent contre cette vision d’une police armée jusqu’aux dents, déambulant en treillis et le M-16 en main. Des associations se forment peu à peu afin qu’une réflexion soit menée sur le bien-fondé de ce que d’aucuns considèrent comme une dérive.

Officiellement, rien n’oblige les policiers à s’équiper d’un tel matériel. Il leur faut pour cela en faire la demande auprès des autorités militaires, qui, en fonction des stocks disponibles, décideront de mettre à disposition leurs surplus à titre gracieux. Certains arguments mis en avant par les chefs de police locaux pour réclamer ce genre d’équipement sont quelquefois assez cocasses. Ainsi, un officier affecté à une banlieue d’Indianapolis a justifié sa demande d’un véhicule anti-mine pour se prémunir d’une éventuelle attaque de soldats vétérans. Pourtant, de nombreux responsables plaident en faveur de cet accès au matériel militaire, et pour eux rien ne doit être laissé au hasard pour garantir un maximum de sécurité à leurs hommes.

En espérant que le but recherché, à savoir la protection des citoyens, ne provoque pas d’effet contraire et n’exacerbe pas des tensions sociales et raciales déjà passablement palpables.

1 Comme lors des émeutes de Watts, en 1965, où de violents heurts avaient opposé la communauté Afro-Américaine à des forces de police lourdement armées, causant la mort de 34 personnes.
2 http://www.nytimes.com/2014/06/09/us/war-gear-flows-to-police-departments.html?_r=1
3 Pour Mine-Resistant Ambush Protected.
4 En Floride, en 2010.
5 En Louisiane, en 2006.
6 Telles que l’ACLU, American Civil Liberties Union, https://www.aclu.org/

Sources des photos : www.blog.lefigaro.fr / www.militariaimport.com / www.content.time.com/