Comme il aime à le rappeler, Pierre Carles est avant tout un homme de télé… dont le travail ne peut passer à la télévision. De cette relation ambivalente avec le média le plus puissant de notre époque, Pierre Carles va faire la base de sa réflexion. Ses documentaires vont être conçus comme autant de tentatives de décryptage du fonctionnement du pouvoir. Il revient nous titiller avec un nouveau documentaire « les ânes ont soif». Portrait.
En connaisseur averti des médias, Pierre Carles sait que parfois une bonne polémique vaut mieux qu’une longue enquête. Et à ce jeu de la provocation, il peut, quand cela lui semble légitime, employer les grands moyens. David Pujadas, en fit les frais le 30 juin 2010, au sortir du bâtiment de France 2. Le présentateur vedette du journal télévisé s’apprête à prendre son scooter pour rentrer chez lui. C’est à ce moment que l’équipe du documentaire « Fin de concession », réalisé par Pierre Carles, apparait pour lui remettre une récompense au goût bien amer. David Pujadas se voit en effet décerner la Laisse d’Or, attribuée « au journaliste le plus servile de France ». Et pour signifier avec éclat, l’alliance supposée du présentateur avec les puissances de l’argent, son scooter sera repeint devant ses yeux, en couleur or.
L’exigence du journalisme
La plaisanterie peut sembler d’un goût contestable, mais l’affaire fera grand bruit et le documentaire connaîtra un succès rare sur grand écran : 160 000 entrées. Mais s’il ne cache pas sa sympathie pour les provocations du professeur Choron, sur qui il réalisera un documentaire, « Choron, dernière », Pierre Carles se réclame avant tout de l’exigence de son métier : le journalisme. Un journaliste qui aime avoir le temps pour s’immerger dans son sujet, pour tâtonner et douter, sur le chemin d’une vérité. Un journaliste dont le rôle doit être de mettre en évidence les jeux de pouvoirs qui traversent la société. Refuser les formats prémâchés d’une presse standardisée et mettre à nu le pouvoir, telles sont les deux ambitions qui vont guider Pierre Carles.
Après avoir été animateur socio-culturel, Pierre Carles se tourne vers des études de journalisme à la fin des années 80. En 1988, il sort diplômé de l’IUT de journalisme de Bordeaux. Il va alors commencer une carrière mouvementée à la télévision. Il fera un court séjour à Télé Lyon Métropole dont il sera rapidement licencié pour faute grave. En fait, c’est plutôt son impertinence qui est en cause. Mais ce ton irrévérencieux va lui servir de carte de visite. Début 1990, il rejoint Bernard Rapp et collabore aux émissions : L’Assiette anglaise et Tranche de cake. Jouant les trublions dans un monde où l’autocensure est beaucoup pratiquée, il travaillera ensuite avec Christophe Dechavanne et Thierry Ardisson.
Censuré à la télé
Mais Pierre Carles se sent assez vite à l’étroit dans les formats que propose la télévision française. Il trouve asile au sein de l’émission Strip-tease qui après avoir été diffusée en Belgique arrive sur les écrans de l’hexagone. Il réalisera notamment un reportage resté célèbre sur le chauffeur de Jacques Chirac, « Chirac ma femme et moi » et un portrait au titre évocateur d’un publicitaire devenu rentier ; « Le désarroi esthétique ». Cependant l’entente avec la télévision ne pouvait durer longtemps.
Il se fait une première fois rappeler à l’ordre par Pierre Bourges, alors directeur d’Antenne 2 (ancien nom de France 2) quand il réalise un reportage sur la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor, alors présentateur du journal de TFI. Son reportage est d’abord déprogrammé, avant d’être diffusé une semaine plus tard. C’est une première alerte. En 1995, Pierre Carles réalise pour Canal +, un documentaire sur les connivences entre la presse et la politique, « Pas vu à la télé ». Il y interroge nombre de grands noms de la télé sur le tabou des relations entre journalistes et hommes de pouvoir. Un tabou tellement tabou que le reportage ne sera finalement jamais diffusé par Canal +.
La fabrique de l’opinion
Comme si on ne lui pardonnait pas d’avoir voulu rendre publics les petits secrets de l’audiovisuel, Pierre Carles devient alors persona non grata à la télévision. Il va se tourner vers une carrière de réalisateur indépendant. Ses documentaires, qui restent pour lui des objets télévisuels qu’on ne peut montrer à la télé, vont être diffusés sur grand écran. Pendant plus de quinze ans, il ne va pas cesser d’interroger le fonctionnement des médias. Son dernier documentaire, « DSK, Hollande, etc.», réalisé pendant la campagne présidentielle de 2012, décortique la manière dont la presse, selon lui, privilégie certains candidats et tente de fabriquer une opinion. Ne s’éloignant jamais des questions sociales, Pierre Carles va aussi s’intéresser au thème du travail avec « Attention danger travail », réalisé en 2003. Mais son dernier documentaire « les ânes ont soif» s’intéresse surtout à la Presse française. Dans un reportage bientôt en accès libre sur le Net, il tentera de nous expliquer pourquoi Le Monde Diplomatique, journal vendu à 1 million d’exemplaire et le plus lu à l’étranger, n’est jamais cité dans nos revues de presse.
Ce parcours constitue aujourd’hui une œuvre assez rare en France. Elle se rapproche de ce que Michael Moore peut faire aux Etats-Unis ; une plongée à l’intérieur des rouages du pouvoir. Et si parfois les moyens employés font débat, ce décryptage offre néanmoins matière à mieux comprendre les enjeux de notre monde.
Bande annonce de « Les ânes ont soif »
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