Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ? Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ? Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ?
Actualités

Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ?

Publié le 7 avril 2014,
par VisionsMag.
Partager
()

En révélant des documents secrets de la NSA, Edward Snowden a voulu alerter l’opinion sur les risques que le renseignement faisait courir à nos libertés. Par son ampleur cette affaire pose de multiples questions. Sur Snowden lui-même, sur le rôle des démocraties et sur les conséquences des révélations. Dans une atmosphère de roman d’espionnage, retour sur la plus grande fuite de données de l’histoire.

On a souvent vu le portrait d’Edward Snowden affublé du béret de Che Guevara. Les manifestants qui lui témoignaient ainsi leur soutien, voulaient sans doute signifier que Snowden, était devenu l’un des héros modernes du combat pour les libertés. Héros, Snowden l’est sans doute. En pleine connaissance des risques, le jeune homme a choisi de sacrifier son existence pour dénoncer une atteinte à la liberté. Mais il est plus difficile de l’imaginer, haranguant la foule, en leader d’une nouvelle révolution.

1,7 million de documents secrets

C’est un jeune homme effacé, presque timide que Glenn Greewald, journaliste au Guardian, et Laura Poitras, documentariste américaine, découvrent à Hong Kong en juin 2013. Avec ses lunettes trop grandes pour son visage encore adolescent, Edward Snowden, fait figure de jeune étudiant appliqué. Cette apparence fragile, cache une immense détermination. Edward Snowden est un animal à sang froid, méticuleux, besogneux, patient. Autant d’attributs qu’il va mettre à contribution pour organiser la plus grande fuite de secrets d’Etat de toute l’histoire. En décembre 2013, un officier de la NSA (National Security Agency) a indiqué que Snowden aurait mis la main sur environ 1,7 million de documents.

Lorsqu’au premier trimestre 2013, Snowden entre comme administrateur système chez Booz-Allen-Hamilton, prestataire de la NSA (National Security Agency), il a déjà pris sa décision. Cela fait plusieurs mois qu’il réfléchit au moyen de rendre public les atteintes à la liberté dont son pays, les Etats-Unis, se rend quotidiennement coupable sous couvert de lutte contre le terrorisme. Il est posté sur une base de la NSA à Hawaï. En tant qu’administrateur du réseau, il peut s’y mouvoir à son gré sans laisser de trace, tel un utilisateur fantôme. Avec le décalage horaire, il se connecte à l’heure où les autres dorment. Il fouille, visite, se déplace, réussissant à débusquer les documents les plus confidentiels. Le plus difficile consistera à expliquer pourquoi il possède toujours une clé USB, interdite aux personnes travaillant pour la NSA. Edward Snowden se justifiera par la nécessité de faire des sauvegardes temporaires lorsqu’il opère sur un poste.

Signé Verax

Quelques mois auparavant, en décembre 2012, Edward Snowden entre pour la première en contact avec le journaliste du Guardian, Glenn Greenwald. L’e-mail n’est pas identifié, le message qui se répétera des dizaines de fois est toujours le même : « j’ai des choses qui pourraient vous intéresser », signé Verax (messager de la vérité en latin). Pour entrer en relation avec ce mystérieux correspondant, Glenn Greenwald doit installer un logiciel de cryptage PGP (Pretty Good Privacy) sur son ordinateur. Mais le journaliste hésite.

N’obtenant pas de réponse, Verax/Snowden finit se tourner vers Laura Poitras, une amie de Greenwald. Documentariste, Laura Poitras est l’auteur d’un reportage sur la surveillance opérée aux Etats-Unis par les services de renseignements. Un travail qui lui a valu d’être pendant six ans sous la vigilance de la CIA, du FBI et de la NSA. Dans son courriel, Verax indique qu’il est agent des services secrets et que l’échange ne sera pas une perte de temps. Laura Poitras donne très vite sa clé de cryptage. Elle dira ensuite qu’elle a failli s’évanouir en apprenant que le mystérieux Verax s’apprêtait à lui livrer la copie d’une directive top secrète de la présidence américaine, confirmant l’écoute par la NSA de communications téléphoniques à l’échelle mondiale.

A la mi-avril Snowden, qui s’est maintenant identifié, envoie deux clés USB à Greenwald. Par courriel, il indique qu’il veut retrouver le journaliste à Hong-Kong. Mais Greenwald se méfie toujours. Il demande à Snowden une bonne raison de le rejoindre. Edward Snowden lui envoie alors vingt documents top secrets prouvant que la NSA a menti au congrès américains sur la nature de ses écoutes.

L’homme au Rubik’s cube

Le 20 mai, prétextant des crises d’épilepsie, Snowden prend un congé chez Booz-Allen-Hamilton. Il se réfugie à Hong-Kong. Greenwald et Poitras vont l’y rejoindre le 1er juin. La prise de contact se déroule dans une atmosphère rappelant les romans de John Le Carré. S’ils connaissent le nom de Snowden, Greenwald et Poitras ne savent rien de son visage, ni de ses fonctions. Faire une recherche internet aurait tout de suite mis la NSA en alerte. Au premier rendez-vous l’informateur ne se montre pas. Le journaliste et la documentariste s’attendent à un retraité des services secrets. L’homme a dit qu’il aurait un Rubik’s cube à la main. La deuxième approche est la bonne. L’apparition de Snowden désespère le journaliste. En voyant ce jeune homme un peu gauche, il a le sentiment d’avoir été le jouet d’une farce. Il suit Snowden dans sa chambre d’hôtel. Snowden place des oreillers contre la porte ; quand un journaliste sort un téléphone portable, il est prêt à s’enfuir, déclarant qu’avec cet appareil autant inviter la NSA dans la chambre ; plus tard pour taper les codes d’accès de son ordinateur, il se cache sous une capuche ; et lorsqu’il quitte la pièce, il place un verre d’eau derrière l’entrée.

Greenwald bombarde Snowden de questions. Peu à peu, la journaliste finit par être convaincu. Snowden n’est pas un canular. Lorsque Greenwald demande si la Silicon Valley est impliquée, Snowden répond, Google, Microsoft, Facebook, Apple. De retour à New-York, Greenwald établit une stratégie pour la publication. Le Guardian prend alors contact avec la Maison Blanche. Une entrevue a lieu avec des responsables des renseignements. Le soir même des équipes d’ouvriers attaquent aux marteaux-piqueurs le trottoir en face du journal. D’autres équipes creuseront la chaussée en pleine nuit, près des domiciles de chaque journaliste impliqué dans le dossier Snowden. A Hong-Kong, où est restée Laura Poitras, Snowden devient de plus en plus nerveux.

Le premier article de Greenwald parait le 6 juin, il rend public l’espionnage par la NSA de millions de communications via l’opérateur américain de télécommunications Verizon. C’est le début des révélations de Snowden.

7 millions d’appels espionnés chaque jour en France

Les révélations de Snowden ne vont cesser de s’échelonner à travers les médias du monde entier de juin 2013 jusqu’à aujourd’hui. L’écoute de la planète par les services secrets n’est pas une nouveauté. Mais la réalité que dévoile Snowden est plus inquiétante encore que les fantasmes les plus sombres. Juste après l’article sur l’opérateur Verizon, le Guardian et le Washington Post révèlent au public l’existence du programme PRISM, grâce auquel le FBI et la NSA surveillent les internautes en accédant aux serveurs de Google, Yahoo, Facebook. Le 21 juin dans une interview au Guardian, Edward Snowden affirme que GCHQ (Government Communications Headquarters), le service de renseignements britannique, peut intercepter des courriels, des messages Facebook, des historiques de recherches à partir de deux cent câbles sous-marins transatlantiques. Le 27 juin, le Guardian révèle que l’administration Obama a autorisé la NSA à collecter un vaste volume de données (métadonnées) provenant des messages électroniques des citoyens américains. Le 29 juin, le quotidien allemand Der Spiegel publie une information selon laquelle la NSA dispose quotidiennement d’informations sur les communications des réseaux français (jusqu’à 7 millions par jour) et allemand (jusqu’à 60 millions par jour).

C’est en fait un vaste réseau de mise en surveillance de la planète qui est ainsi rendu public. En juillet 2013, un article détaille le programme X-Keyscore qui permet de contrôler tout ce que fait un individu sur Internet. Les révélations vont se succéder quasiment quotidiennement pendant des mois. Dans son édition du 27 février 2014, le Guardian rend public le programme Optic Nerve, par lequel le GCHQ intercepte les webcams d’utilisateurs Yahoo partout dans le monde.

L’homme le plus traqué au monde

L’affaire Snowden n’est pas prête de retomber. Elle pose de multiples questions. D’abord sur Snowden lui-même. L’homme n’a pas le profil du lanceur d’alerte ordinaire. Aux Etats-Unis c’est un républicain convaincu. Lorsque la guerre éclate en Irak, il s’engage estimant qu’il est de son devoir de se battre pour son pays. Un accident survenu pendant ses classes, au cours duquel il se casse les deux jambes, met une fin prématurée à sa carrière militaire. Quand il apprend que des informateurs ont révélé les plans secrets de l’armée pour attaquer l’Iraq, il intervient sur Internet pour demander que les initiateurs des fuites soient traduits en justice. Il s’énerve lorsqu’Obama, devenu président, veut limiter le port d’armes aux États-Unis.

Il n’a pas non plus le profil typique de l’informaticien recruté par les services secrets. N’ayant pas terminé ses études, Snowden ne possède que le GED, l’équivalent du Bac. Il doit ses connaissances à sa propre pratique de l’informatique. Mais ses anciens supérieurs sont formels, c’est un expert haut de gamme en service de sécurité. Lorsqu’aux Etats-Unis des voix s’alarment du possible espionnage des données détenues par Snowden par les services secrets russes. Des membres de la NSA affirment que le lanceur d’alerte est à même de garantir l’inviolabilité de ses données, y compris dans un contexte aussi difficile que la Russie.

L’avenir de Snowden pose encore d’autres questions. C’est aujourd’hui l’homme le plus traqué au monde. Après être resté 39 jours coincé dans la salle de transit de l’aéroport Cheremetievo de Moscou, Edward Snowden a obtenu, le 31 juillet 2013, un statut de réfugié temporaire en Russie. Ce statut a une durée d’un an et peut-être renouvelé indéfiniment. Aux Etats-Unis, Edward Snowden est inculpé d’espionnage, de vol et d’utilisation illégale de biens gouvernementaux. Son passeport a été annulé. De fait, Edward Snowden se trouve dans une situation inextricable, prisonnier « volontaire » en Russie. Aux Etats-Unis, ses détracteurs profitent de ce contexte pour le comparer aux agents de la CIA passés chez l’ennemi soviétique durant la guerre froide.

Si les soutiens à Snowden se sont exprimés dans de nombreux pays, aux Etats-Unis, l’opinion est plus contrastée. Un sondage effectué par le Washington Post peu après les premières révélations, montre qu’une courte majorité d’américains estiment acceptable le programme PRISM. Pour nombre de citoyens des Etats-Unis, Snowden apparait comme un traître. Cette perception pose la question des conséquences de l’affaire Snowden.

Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ?
En révélant des documents secrets de la NSA, Edward Snowden a voulu alerter l’opinion sur les risques que le renseignement faisait courir à nos libertés. Dans une atmosphère de roman d’espionnage, retour sur la plus grande fuite de données de l’histoire.
Affaire Snowden : un coup d’épée dans l’eau ?

Les services secrets britanniques comme le KGB

Les révélations du lanceur d’alerte ont mis en évidence des disfonctionnements importants des démocraties occidentales. La manière dont les services secrets britanniques ont fait pression pour que les données laissées par Snowden au Guardian soient détruites, rappelle l’âge sombre du KGB. Un journaliste du quotidien anglais a relaté les faits. Trois agents des renseignements sont venus avec leur matériel, superviser cette destruction auquel le journal avait décidé de se livrer plutôt que de transmettre les documents. L’opération a eu lieu dans les sous-sols du journal. Des journalistes, armés de perceuses, ont fait disparaître les disques durs sous l’œil inquisiteur des agents du GCHQ.

De plus, le spectre d’un Big Brother est maintenant plus qu’une œuvre de science-fiction. Ce sont des centaines de millions de données qui sont ainsi récoltées chaque jour sur la planète entière. Aucun élément de la vie privée n’est à l’abri de ce contrôle. Quiconque, sur simple requête de la NSA, sans même l’accord d’un juge, peut ainsi faire l’objet d’une surveillance de ses conversations privées, de ses messages, de ses achats, de ses déplacements…

En 2007, les Etats-Unis ont lancé un programme censé permettre de démasquer les terroristes potentiels avant qu’ils ne passent à l’action. Ce programme qui rappelle fâcheusement le thème de Minority Report, le film de Spielberg, est baptisé Future Attribute Screening Technology (FAST, technologie de dépistage des attributs futurs). Tous les éléments relatifs à un individu comme par exemple les traces laissées sur internet, mais aussi son langage, ses tics corporels, sont transformés en données. A partir des corrélations de ces données avec celles de terroristes déclarés, certaines personnes vont alors faire l’objet d’une surveillance approfondie. Pour caricaturer, si un individu aime le même club de football ; la même actrice, la même chanson, qu’un terroriste, il peut se retrouver dans le viseur de la NSA.

Ces programmes seront-ils rediscutés suite aux révélations d’Edward Snowden ? Verra-t-on les opinions demander à leurs gouvernements de mieux encadrer la nécessaire surveillance pour des causes de sécurité ? Snowden appelle de tous ces vœux à ce sursaut « nous ne devons jamais oublier les leçons de l’histoire quant aux excès des dispositifs de surveillance » a-t-il déclaré le 22 juillet 2013, lors de son discours de réception du prix des lanceurs d’alerte. Reste à espérer que son action ne demeure pas sans lendemain.

Liens photos : www.theguardian.com  / www.i.huffpost.com / www.media.meltybuzz.fr