Dancers among us : le bonheur quotidien de Jordan Matter
On dit souvent qu’en art célébrer la joie est chose impossible. Le bonheur ne se raconte pas. Pourtant l’étiquette d’artiste du bonheur va comme un gant au photographe Jordan Matter. Son dernier ouvrage « Dancers among us » en est un témoignage éloquent.
Découvrir les photos de Jordan Matter, c’est d’abord être en contact avec une célébration permanente de la joie ordinaire de l’existence. Tout son travail tend vers cela. Le dernier en date, « Dancers among us », nous montre des danseurs exécutant des figures de style dans les décors les plus quotidiens. Le résultat est jubilatoire. C’est une redécouverte toute en gaieté de la magie de chaque jour. Photographe du quotidien, Jordan Matter n’est cependant pas un artiste commun. C’est un homme d’intuition et de sophistication qui a toujours œuvré hors des sentiers battus.
La révélation Henri Cartier-Bresson
Les vraies vocations ne se décident pas. Elles surgissent au hasard de l’existence. Un après-midi Jordan Matter rend visite à une amie collectionneuse. Celle-ci lui fait découvrir une série de photos acquises à prix d’or devant lesquelles Jordan Matter reste interdit. Les clichés apparaissent conventionnels, ennuyeux, sans âme. Ils ne manifestent qu’une technique décorative à mille lieux de sa propre conception de l’art. Jordan Matter s’empare alors d’un appareil photo et il grimpe avec son amie sur le toit de l’immeuble où, profitant du coucher de soleil, il fait une série de paysages. Et c’est là, face au soleil déclinant, qu’il comprend qu’il va devenir photographe.
Rien n’est planifié dans la démarche de Jordan Matter. Se consacrant tout d’abord au baseball, il choisit à l’âge de 20 ans d’embrasser la carrière d’acteur. Cet engagement lui apporte pleine satisfaction. A la fin des années 90, c’est un jeune comédien prometteur qui apparait notamment dans la série « New-York, police judiciaire ». Il aime la chaleur des plateaux, la complicité entre acteurs, les applaudissements au théâtre. La photographie semble loin. Pourtant, elle fait partie de l’ADN familial. Son père, Alex Matter, est réalisateur, il a concouru à la Mostra de Venise. Sa mère, Paula Feiten, est mannequin. Quant à son grand-père, Herbert Matter, c’est un photographe reconnu qui a travaillé entre autres pour le National Geographic, Vogue et Harper’s Bazaar.
C’est en découvrant une exposition d’Henri Cartier-Bresson que Jordan Matter reçoit la révélation de sa vocation. Le travail du photographe français lui parle d’une aspiration qu’il cultive secrètement depuis toujours : capter dans le quotidien, la beauté de l’humain ; célébrer la joie de l’existence ordinaire. Dès lors, Jordan Matter commence à étudier et pratiquer la photo. Travailleur acharné, il va rapidement trouver son propre style.
La joie pure de l’enfance
Commençant comme portraitiste, il évolue ensuite vers des compositions plus personnelles. Ses travaux s’enchainent, « Uncovered », « Athletes among us » et le dernier en date « Dancers among us », qui lui vaut aujourd’hui la consécration.
L’idée de « Dancers among us » lui vient en regardant son fils jouer avec un camion de pompier miniature. Il veut alors retranscrire la joie « pure » de l’enfant. Mais comment traduire cet instant dans un monde d’adultes souvent gagné par l’ennui et le cynisme ? Il va trouver la solution en assistant à un spectacle de danse. L’énergie du corps des danseurs lui semble à même de pouvoir exprimer ce moment où l’être se révèle profondément vivant. Le dispositif des photos est des plus simples : les danseurs exécutent des figures artistiques dans les différents lieux de la vie urbaine. Le résultat est étonnant : « un grand écart sur le comptoir d’un traiteur italien », « un entrechat au moment de traverser une avenue », « un équilibre sur le quai du métro ». Ces mises en scène disent la part de magie qui demeure inscrite en chacun de nous.
Aujourd’hui l’essentiel de ce travail est repris dans un livre intitulé « Dancers among us ». C’est le bonheur célébré au quotidien comme le laisse entendre son sous-titre : « A celebration of joy in the everyday ». L’ouvrage est devenu un best-seller aux Etats-Unis, preuve que la magie opère. Celle-ci d’ailleurs, traverse les frontières. En 2013, à l’invitation du fameux musée Savina de Séoul, Jordan Matter est parti œuvrer en Corée du Sud. Et ce n’est pas une surprise de retrouver dans ses clichés d’Asie, la même fraicheur et le même bonheur que celui que l’on respirait dans les photos des rues new-yorkaises.