Conséquence du remaniement ministériel, Fleur Pellerin, malgré une grande mobilisation sur les réseaux sociaux afin qu’elle conserve son ministère, cède sa place à Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire. Mais qui est vraiment Fleur Pellerin, et quelle a été sa vision du Numérique ? Pourquoi le secteur du Numérique la plébiscite ?
La nomination de Fleur Pellerin à la tête du secrétariat d’Etat au Commerce extérieur, aux Affaires européennes et au Tourisme a entrainé de nombreux regrets de la part des entrepreneurs et des acteurs du numérique. Une grande partie d’entre eux s’était en effet mobilisé, via un compte Twitter au hashtag évocateur (#keepfleur), afin de défendre le maintien de Fleur Pellerin au sein de son ministère chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique. En vain, puisque c’est Arnaud Montebourg qui hérite d’un ministère élargi comprenant l’Economie, le Redressement productif et le Numérique. Qu’un ministre reçoive un tel soutien est quelque chose de rare et qui témoigne de l’estime éprouvée envers elle.
Une carrière de surdouée
Née en 1973 à Séoul, en Corée du Sud, grandissant en région parisienne, Fleur Pellerin enchaine un parcours sans faute : Prépa HEC, Essec, Sciences-Po, Ena. Magistrate à la cour des comptes, auditeur externe pour l’ONU, elle s’engage en politique en 2002, aux côtés de Lionel Jospin, et lui écrit certains de ses discours. Puis travaille ensuite avec Ségolène Royal en 2007. Lorsque le gouvernement Ayrault est formé le 21 juin 2012, elle succède à Éric Besson à la tête du ministère délégué à l’innovation, aux PME et au numérique, sous la tutelle d’Arnaud Montebourg.
Prise de fonction
Confrontée, dès son arrivée, à la fronde des « pigeons », ces entrepreneurs contestant des réformes fiscales défavorables, sa gestion du dossier lui a valu le soutien de ces derniers lors du remaniement du 9 avril. Décrite comme étant « à l’écoute » et « accessible », Fleur Pellerin a donc su, aux dires de ses défenseurs, acquérir la compréhension d’un écosystème numérique français dynamique, mais requérant un appui politique n’ayant pas toujours eu cours lors des précédents gouvernements.
1 an, 9 mois, et des résultats
Après quasiment deux années passées au sein de son ministère, le bilan de l’action de Fleur Pellerin peut être appréhendé à travers des réalisations telles que les assises de l’entrepreneuriat, la création du label « French Tech », la réforme du crowdfunding, mais aussi des prises de position parfois à l’encontre de son ministre de tutelle.
Assises de l’entrepreneuriat
Succès incontestable, la mise en place des assises de l’entrepreneuriat a contribué à restaurer un dialogue de confiance entre le gouvernement et les entrepreneurs. En créant ce rendez-vous participatif, la ministre a voulu contribuer à la mise en place d’un cadre fiscal favorable à l’entrepreneur, ainsi qu’à la stimulation de l’innovation au sein des entreprises. Un premier bilan permet de constater que certaines mesures nées de ces assises devraient être adoptées prochainement. Allègement et simplification du régime des plus-values de cessions de valeurs mobilières, réclamé par de nombreux entrepreneurs, utilisation de fonds issus de l’épargne des Français afin de financer les PME, charges sociales réduites ou même exonérées pour les jeunes entreprises, lancement d’une bourse dédiée aux PME et ETI (EnterNext), réforme du financement participatif et enfin, création et diffusion de contenu pédagogique dans les établissements scolaires destiné à développer l’esprit d’entreprendre. De nouvelles assises sont prévues cette année.
Label « French Tech »
La mise en place de ce label a été l’une des principales réalisations de Fleur Pellerin pour l’économie numérique. Faire connaitre et mettre en valeur le savoir-faire français, lui offrir le soutien de l’Etat ainsi qu’une exposition internationale est le but avoué de ce plan. Lancé en janvier 2014, le programme s’articule autour de plusieurs points. La labellisation de territoires développant un écosystème de startups innovantes leur permettra de bénéficier de ressources mises à leur disposition par l’Etat, qui leur garantira par ailleurs une visibilité à l’international. Mais le « French Tech » se veut aussi un incubateur d’entreprises, doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros et qui mêlera fonds publics et fonds privés. Un portail Internet a été mis en place pour promouvoir l’initiative. Aider les startups innovantes et améliorer la perception de la France à l’étranger est une initiative louable, mais il est encore trop tôt pour tirer un premier bilan de cette mesure.
Réforme du crownfounding
Les entreprises pourront désormais, une fois que la nouvelle loi sera rentrée en application, avoir recours au financement participatif des internautes. Le capital ainsi dégagé, jusqu’à un million d’euros, intéressera en priorité les PME. Les internautes, en passant par des plateformes dédiées, pourront prêter chacun 1000 euros, et les prêts seront rémunérés. L’impact de cette réforme demandera au moins six mois, aux dires de l’ex-ministre, avant de pouvoir être étudié.
Projet de loi sur le numérique
Suite aux remous suscités par l’annonce de la loi de programmation militaire, dont l’impact est loin d’être négligeable pour les utilisateurs d’Internet, la ministre a tenu à dévoiler un projet de loi visant à créer un « habeas corpus numérique ». En plein cœur de l’affaire Snowden et de la révélation d’un « PRISM » à la française, ce projet, qui devrait être adopté cet été, vise à renforcer les pouvoirs de la CNIL et à assurer une plus grande protection des données personnelles des internautes.
Des succès, mais aussi quelques critiques
Très dynamique sur certains sujets, la ministre a semblé se désintéresser de thèmes pourtant importants dans le secteur du numérique. Ainsi, sa défense de la neutralité du Net a semblé tiède à certains acteurs, la Quadrature du Net osant même poser la question : « à quoi sert Fleur Pellerin ? ». L’existence de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), très critiquée par les cybernautes et par certains économistes, n’a pas été remise en question.
Divergences avec Arnaud Montebourg
Quelques sujets n’ont pas manqué de mettre en évidence une conception différente de celle d’Arnaud Montebourg. Sur le rachat du site français Dailymotion par Yahoo, tout d’abord, puisque Arnaud Montebourg s’est opposé à l’offre de l’américain, alors que Fleur Pellerin n’y était pas défavorable. Même désaccord lorsque Free lance son offre 4G : le ministre s’est montré très virulent envers Xavier Niel, alors que Fleur Pellerin ne lui était pas hostile.
Perte de continuité
Il n’y aura donc pas eu de reconduction au sein de ses précédentes fonctions, comme l’auraient souhaité ceux qui soutenaient la ministre. Au-delà de ses réalisations, qui ne font certes pas l’unanimité, il est à mettre au crédit de Fleur Pellerin qu’une cohabitation avec Arnaud Montebourg ne lui a pas permis de mener à bien certains de ses projets. Quant à ceux qui ont été engagés, il est encore trop tôt pour en faire le bilan. Mais la ministre, par sa présence sur tous les fronts (Silicon Valley, CES de Las Vegas, salons et manifestations dans l’Hexagone), a au moins su renouer le dialogue avec des entrepreneurs et des acteurs du numérique qui n’étaient pas forcément acquis à la cause du gouvernement. En désamorçant des crises telles que celle des Pigeons, elle a fait montre d’une intelligence et d’une compréhension qui n’avaient jusqu’alors pas été rencontrés chez tous ses prédécesseurs. De là s’expliquent les regrets qui ont accompagné son départ.
Sources des photos : www.pro.01net.com/ www.img.clubic.com / www.rue89.nouvelobs.com