La Chine trace la route de la Soie en Méditerranée
MARSEILLE (Reuters) – La Méditerranée devrait tenir un rôle majeur dans la déclinaison maritime de l’ambitieux projet chinois de nouvelle « route de la Soie » destiné à multiplier les échanges entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, un projet titanesque né en 2013 dans l’esprit du président chinois Xi Jinping et soutenu par Emmanuel Macron.
L’objectif est de tisser une immense toile de routes, de lignes de chemin de fer et de ports dans 65 pays pour un total de plus de 1.000 milliards de dollars.
« Les routes de la Soie n’ont jamais été purement chinoises”, a dit Emmanuel Macron en janvier, à l’occasion de son voyage en Chine, lors d’une étape à Xian, ancien point de départ oriental de ce réseau de routes qui reliait l’Europe à la Chine.
Réunies pour la 2e édition du Medports Forum, mercredi et jeudi à Marseille, les autorités des ports de Méditerranée se sont à leur tour emparées du sujet pour débattre des opportunités de la « Belt and road initiative (BRI) » dans le développement de leurs structures.
« C’est un sujet planétaire qui a des implications immenses sur le bassin méditerranéen », a déclaré la présidente du directoire du port de Marseille-Fos, Christine Cabau-Woehrel.
La nouvelle route maritime de la Soie est censée intensifier le commerce depuis les principaux ports chinois jusqu’à l’Europe. Elle relierait les ports européens, via la Méditerranée, le canal de Suez et l’Océan Indien, à Shanghai.
« Les plans chinois considèrent le bassin méditerranéen comme le coeur du système mondial. A partir de la Méditerranée, on alimente l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Nord », a souligné le professeur d’économie maritime à l’Erasmus School of Economics de Rotterdam (Pays-Bas), Hercules Haralambides.
JEU D’ECHECS
Ce spécialiste mondial du transport et de la logistique maritime rappelle que les Chinois contrôlent déjà 10% de la capacité des terminaux portuaires européens.
« Et l’augmentation de l’investissement chinois sur les ports européens est exponentiel », dit-il.
Le géant chinois Cosco (China Ocean Shipping Company), dont le siège est à Hong Kong, a pris le contrôle en 2016 de 67% du capital du port du Pirée (Grèce) pour près de 400 millions d’euros et s’est engagé à investir 350 millions supplémentaires dans la rénovation des structures avec l’ambition de faire du port d’Athènes « un pont entre l’Asie et l’Europe ».
Cette ambition a trouvé une autre concrétisation en Europe avec la reprise de Noatum Port en Espagne, qui permet au groupe d’armement chinois de contrôler les terminaux pour conteneurs de Valence et de Bilbao, « mais aussi ceux des ports de l’arrière-pays Madrid et Saragosse » selon Hercules Haralambides.
« Il ne faut pas seulement voir la BRI comme un moyen de connecter la Chine à l’Europe. Ces investissements vont créer de nouveaux flux de marchandises vers l’Europe », estime le directeur de Cooperans OBOeurope (cabinet conseil sur les questions de relations internationales), Sébastien Goulard.
Emmanuel Macron a pris soin de préciser lors de son voyage en Chine que le projet de nouvelle route de la Soie ne saurait, selon lui, être à sens unique.
« Ces routes ne peuvent être qu’en partage. Elles ne peuvent être les routes d’une nouvelle hégémonie, qui reviendrait en quelque sorte à mettre dans un état de vassalité les pays qu’elles traversent », a-t-il déclaré.
Xi Jinping a promis une enveloppe de 124 milliards de dollars pour son ambitieux projet, vu en Europe comme un outil d’affirmation de l’influence chinoise.
« C’est un jeu d’échecs pour joueurs confirmés, un jeu qui va au-delà des considérations économiques », note le professeur Hercules Haralambides.
RÉDUIRE LES COÛTS DU COMMERCE
Pour de nombreux analystes, la Chine poursuit certes des objectifs économiques, notamment ceux de réduire les coûts du commerce et d’avoir un meilleur accès aux marchés, mais aussi des visées stratégiques pour étendre son hégémonie.
« La Chine veut augmenter son influence sur l’Asie et sur l’Afrique, mais aussi sur l’Europe qui constitue l’un de ses plus grands marchés », dit l’ancien diplomate britannique, aujourd’hui directeur du think tank EU-Asia Center de Bruxelles, Fraser Cameron.
« L’an dernier, pour la première fois, la Chine a plus investi en Europe que l’inverse », précise-t-il.
La Chine a ouvert l’an dernier à Djibouti sa première base militaire en Afrique, tandis que de nombreuses entreprises du pays ont investi dans le port, les transports et la logistique.
« Souvent les gens pensent que la Chine veut contrôler les routes et s’immiscer dans les affaires européennes, il n’en est rien. La Chine a déclaré ouvertement qu’il n’y aura aucune intervention de sa part, quelle qu’elle soit », s’est défendue une conseillère du ministère des Affaires Etrangères de Chine, Yuli Liu, soulignant que « l’initiative chinoise est ouverte au monde pour travailler sur des projets communs ».
Les autorités portuaires réunies à Marseille ont affirmé que « les ports méditerranéens n’étaient pas à vendre », mais se sont montrées ouvertes à la création de « routes alternatives ».
« Il ne s’agit pas de tomber dans l’angélisme, on sait qu’il y a toujours un côté obscur dans chaque initiative, mais on veut améliorer la fluidité des échanges en Méditerranée. On veut s’insérer dans cet ordre mondial économique qui va vers davantage de connectivité et de coopération », a résumé Christine Cabau-Woehrel.
A travers son port, Marseille ne cache pas son ambition de devenir une étape privilégiée.
La deuxième ville de France se prépare à inaugurer le 19 février la première tranche du “Marseille International Fashion Center” (MIF 68), l‘un des plus grands centres sino-européens qui doit accueillir une centaine de showrooms d’entreprises chinoises spécialisées dans le textile en gros.
par Jean-François Rosnoblet
(Edité par Yves Clarisse)