Le Canard Enchaîné a 100 ans et toutes ses plumes Le Canard Enchaîné a 100 ans et toutes ses plumes Le Canard Enchaîné a 100 ans et toutes ses plumes
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Le Canard Enchaîné a 100 ans et toutes ses plumes

Publié le 16 février 2015,
par VisionsMag.
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Avec l’attentat de Charlie Hebdo, les ventes de l’hebdomadaire antidogmatique explosent. Les Français redécouvrent la puissance de la satire en tant qu’arme politique, avec une passion renouvelée pour la liberté d’expression. Une autre publication mythique de la caricature, le Canard Enchaîné, souffle cette année ses cents bougies. Un anniversaire fêté sous le signe de la tension et sous protection policière, puisque la rédaction, qui a perdu l’un de ses dessinateurs star, Cabu, qui travaillait pour les deux journaux, a été à son tour victime de menaces d’attaque « à la hache ». Une habitude pour le journal aux nombreux ennemis, mais qui est cette fois prise au sérieux au vu des récents évènements.

Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, la Canard Enchaîné n’a pas été créé dans les tranchées, bien au contraire. Il paraît pour la première fois en 1915, assurément en pleine guerre, mais de l’association de deux pacifistes, l’un dessinateur et l’autre rédacteur (Henri-Paul Deyvaux-Gassier et Maurice Maréchal). Réformés du service militaire pour « raison médicales », ils assument leur vigoureux antimilitarisme.

Un canard enchaîné par la censure

Le Canard Enchaîné tient son nom du fait qu’il se présente comme une arme contre la censure gouvernementale et militaire qui régnait à l’époque de sa création. L’humour et la satire sont des moyens d’attirer et amuser le lecteur, mais aussi de faire passer des messages de façon détournée, presque cryptée.

Fier de son indépendance, il ira même jusqu’à cesser volontairement ses activité sous l’occupation afin de ne pas collaborer. Il n’a pas recours aux aides publiques, ni à la publicité pour se financer. Les statuts financiers de l’entreprise sont entièrement transparents. Les seuls actionnaires sont les fondateurs et les travailleurs, qui sont soumis à un règlement très strict dans le but de garantir leur neutralité (ne pas écrire de pige pour d’autres journaux, ne pas recevoir de décorations officielles, ne pas miser en bourse).

Une tradition française

L’humour et la caricature ne sont pas réservés aux artistes français. Mais la satire gauloise, c’est à dire le fait de se servir de l’humour pour arriver au point zéro du tabou et de la réserve, est un style très singulier n’ayant pas d’équivalent dans d’autres pays. La presse étrangère sait rire et critiquer, mais émet beaucoup plus de réserves sur certains sujets tels que la religion.

Et le style n’est pas nouveau, ni réservé aux dessinateurs. Du théâtre de Molière aux sketchs des Guignols de l’info, en passant par les fables de La Fontaine ou les romans de Voltaire, la France chérit ses artistes satiriques et revendique leur diffusion. Le Canard Enchaîné est l’un des supports privilégiés de cet art. Il a vu au cours de son histoire défiler de grandes plumes, telles qu’Anatole France ou Jean Cocteau.

Un journal qui n’a pas que des amis

Le monde politique craint le Canard. C’est dans ses feuilles que plusieurs scandales politiques ont été révélés, tels que l’affaire du sang contaminé, ou encore « l’affaire des diamants », alertant les lecteurs sur les relations entre Valérie Giscard d’Estaing et Bokassa, alors président de Centre Afrique. Le journal s’est également fait une spécialité de publier les déclarations d’impôts d’hommes de pouvoir (politique ou financier), comme Jacques Chirac, Marcel Dassault, ou encore Jacques Calvet.

Mais le monde politique et le monde des affaires ne sont pas les seuls dans le collimateur du Canard, qui assume, à l’image de Charlie Hebdo, une ligne éditoriale « laïcarde », et plus particulièrement « anticléricale », une position d’autant plus difficile à assumer à sa création en 1915, lorsque l’Eglise catholique jouissait en France et ailleurs en Europe d’une influence et d’un pouvoir considérables.

Le Canard Enchaîné a 100 ans et toutes ses plumes
Un siècle déjà que le canard tente de se libérer de ses chaînes en jetant des pavés dans la marre. Un anniversaire célébré dans un contexte tendu…

Le droit à la caricature

Souvent accusé de diffamer ou de jeter de l’huile sur le feu, le Canard défend férocement sa liberté de ton et de parole. Il fait et a toujours fait du combat contre la censure son leitmotiv. Tout est bon à dire, même ce qui n’a aucun intérêt. Le seul fait de dévoiler une information est une victoire pour la liberté d’expression.

La censure à la création du Canard était justifiée par les besoins de la guerre. La guerre actuelle, celle contre le terrorisme, pourrait elle aussi limiter les libertés que s’est octroyé la presse en un siècle. Plus que jamais, le Canard Enchainé impose l’irrespect comme une valeur. C’est par l’irrespect des règles, des idéaux et des convenances qu’il tente depuis maintenant cent ans de garantir une presse anticonformiste et hilarante à la fois.
Sources des photos : centenaire.org / sandra-franrenet.fr