Les Afro-Argentins face au déni d’une nation qui les a oubliés
« Hola negro ! Hola chino ! » (Salut le noir ! Salut le Chinois !) En Argentine, lorsqu’on a la peau un peu bronzée ou les yeux en amende, il est courant de se faire appeler ainsi. Le peuple argentin est adepte du racisme ordinaire et les enfants y apprennent une histoire exclusivement blanche. On y raconte la fierté d’une nation construite grâce à l’arrivée massive des Italiens, Espagnols, Français, Allemands, Gallois ou Croates dont les descendants peuplent aujourd’hui une Argentine pourtant pas si blanche qu’elle ne le prétend. Les cas des indiens massacrés ou des Afro-Argentins sont très méconnus ou volontairement oubliés par la population.
En 1804, le tiers de la population de Buenos Aires était noire. Aujourd’hui, le métissage ayant fait son œuvre, les descendants des Afro-Argentins ne sont plus forcément identifiables par leur couleur de peau mais sur la base d’échantillons d’ADN. Il a été établi qu’ils sont plus de deux millions d’individus à vivre aujourd’hui dans le pays (soit 4 % dans la population). Leurs ancêtres sont, pour la grande majorité, originaires du Mozambique ou de l’Angola, arrivés en Argentine en tant qu’esclaves dans les bagages des premiers colons européens dès le XVIe siècle. Les Afro-Argentins d’aujourd’hui aiment d’ailleurs rappeler que leurs ancêtres sont présents sur le territoire depuis bien plus longtemps que la majorité des habitants actuels qui descendent d’immigrés européens arrivés autour du début du XXe siècle.
La population noire décimée au XIXe siècle
La fin de la traite des noirs a été actée en 1812 mais la place des anciens esclaves n’a pas été facile à trouver pour eux. Le président Domingo Sarmiento, en exercice de 1868 à 1874, se vantait ainsi d’avoir un pays « sain », débarrassé des populations qui « n’étaient pas blanches » et jugées « inférieures ». La population noire a été décimée par les épidémies de fièvre jaune qui ont sévi entre 1850 et 1871 dans les quartiers insalubres où elle vivait. Les Afro-Argentins ont aussi été enrôlés pour combattre et mourir lors de la guerre de la Triple Alliance . Ils ont été envoyés sur le front servir le pays mais aucune ligne ne rend hommage à leur sacrifice dans les livres d’histoire.
Difficile alors aujourd’hui de faire accepter au peuple argentin que beaucoup de ses ressortissants soient des descendants africains. Difficile, surtout, de lui faire accepter les autres couleurs de peau. L’équipe nationale de football argentine illustre bien ce déni : l’absence de joueurs de couleur noire au sein de l’effectif constitue une exception sur le continent.
« Jamais un Argentin n’aura de psy noire »
Les exemples de discrimination au quotidien sont nombreux : Laura Omega, par exemple, entreprenait des études de psychologie dans les années 1990 mais son professeur l’a dissuadé de poursuivre en raison de sa couleur de peau, lui signifiant que jamais un Argentin n’irait se confier sur le divan d’une noire. Elle travaille aujourd’hui dans une usine.
Autre cas frappant, celui d’une femme noire accusée par une fonctionnaire d’avoir de faux papiers car il était impossible qu’elle soit à la fois argentine et de couleur noire. Cette affaire, survenue en 2002, a eu le mérite de lancer un débat et de provoquer une réaction importante pour défendre l’histoire noire de l’Argentine.
Le Tango tient son rythme de l’Afrique
De nombreuses associations se battent pour faire changer les regards et les mentalités sur ce sujet. Des concerts, des événements culturels sont organisés afin de sensibiliser le peuple argentin sur l’ensemble de ses racines. « Nous ne sommes pas et n’avons jamais été l’exception blanche de l’Amérique latine », souligne une brochure.
Depuis peu, la journée des Afros-Argentins est célébrée chaque année au printemps à Buenos Aires, soutenue par des personnalités politiques ou des artistes. On y retrouve des gens de toutes les générations qui viennent arborer fièrement leurs racines africaines. Ce type de manifestation est indispensable pour réussir à ancrer l’histoire noire au sein de la culture et à démontrer que les Afro-Argentins ont apporté de nombreuses contributions à leur pays.
A commencer par le tango : le rythme de cette danse traditionnelle a été créé par les populations noires et les blancs y ont ajouté une mélodie et une harmonie. Un mélange qui est la parfaite illustration des origines d’une Argentine qui doit enfin accepter son multiculturalisme et ses origines diverses.
Sources des photos : emergentes.com.ar / rfi.fr / afrosur.com / pinterest.com