Les habitants de la Ghouta "attendent leur tour pour mourir"
par Dahlia Nehme et Lisa Barrington
BEYROUTH (Reuters) – Des habitants de la Ghouta orientale ont déclaré mercredi qu’ils attendaient « leur tour pour mourir » alors qu’ils subissent des bombardements d’une intensité sans précédent depuis le début du conflit.
Mercredi, au moins 38 personnes sont mortes, portant à 310 au moins le nombre de tués depuis dimanche dans les bombardements menés par les forces pro-gouvernementales syriennes sur cette enclave tenue par les rebelles, à quelques dizaines de kilomètres de Damas, selon des chiffres de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Des hélicoptères des forces loyalistes ont tiré des roquettes et largué des barils d’explosifs sur les villes et villages de cette région située à l’est de Damas, où vivent quelque 400.000 personnes.
Des photos prises par Reuters dans l’enclave montrent des hommes fouillant dans les gravats d’immeubles effondrés, portant des gens ensanglantés dans des hôpitaux ou se cachant dans des rues jonchées de débris.
« Nous attendons notre tour pour mourir. C’est la seule chose que je peux dire », a déclaré Bilal Abou Salah, 22 ans, qui habite Douma, la grande ville de la région, avec sa femme enceinte de cinq mois.
« Pratiquement tous les habitants d’ici vivent aujourd’hui dans des abris. Il y a cinq ou six familles par maison. Il n’y a pas de nourriture, pas de marché. »
« CRIMES DE GUERRE »
Le système d’alerte de la Défense civile syrienne – un service de secours travaillant dans les zones détenues par l’opposition qui se déclenche quand des avions de chasse sont vus décollant de leurs bases – lançait dans l’après-midi des signaux toutes les deux ou trois minutes.
Après l’intensification du pilonnage observée depuis dimanche, le rythme des raids a ralenti au cours de la nuit avant de s’intensifier à nouveau au lever du jour, a déclaré l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
L’Onu a dénoncé les bombardements, ajoutant que les attaques contre des hôpitaux et autres infrastructures civiles pouvaient constituer des crimes de guerre.
Le secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres a appelé à une « suspension immédiate de toute activité guerrière dans la Ghouta orientale », ajoutant devant le conseil de sécurité des Nations unies que les habitants de cette région vivaient un « enfer sur terre ».
Il a dit soutenir une proposition avancée par la Suède et le Koweït appelant le conseil à exiger un cessez-le-feu de 30 jours en Syrie. Mais la Russie, alliée de Bachar al Assad, qui dispose d’un droit de veto à l’Onu, a déjà qualifié cette proposition « d’irréaliste ».
« Nous ne pouvons pas instaurer de cessez-le-feu comme ça. C’est un processus long et complexe », a dit à Reuters l’ambassadeur russe aux Nations unies, Vassili Nebenzia en évoquant le projet.
L’armée russe a ensuite déclaré que la poursuite des combats était imputable au comportement des rebelles qui refusent de résoudre ce conflit de manière pacifique.
Elle leur reproche notamment d’avoir refusé de déposer les armes et de continuer d’opposer une résistance aux forces pro-gouvernementales. Elle les accuse en outre d’empêcher la population civile de quitter la zone de conflit.
« CAMPAGNE D’ANNIHILATION »
Le haut-commissaire de l’Onu aux droits de l’homme a dénoncé « une campagne monstrueuse d’annihilation » contre les civils.
« Les lois humanitaires internationales ont été mises en place précisément pour éradiquer ce genre de situation, où les civils sont assassinés en grande nombre à des fins politiques ou militaires », a dit Zeid Ra’ad al Hussein dans un communiqué.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a appelé à la retenue et à pouvoir accéder aux blessés, en particulier à ceux qui sont dans un état critique.
« Les combats risquent vraisemblablement de causer davantage de souffrances dans les jours et les semaines à venir et nos équipes doivent être autorisées à se rendre dans la Ghouta orientale pour porter secours aux blessés », déclare Marianne Gasser, chargée de la délégation du CICR en Syrie, citée dans un communiqué.
« Des blessés meurent faute de pouvoir être soignés à temps (…) Il faut mettre un terme à cette folie meurtrière. Les civils ne doivent pas être pris pour cible. »
Le son de cloche est identique chez Médecins sans frontières où l’on déplore un « besoin de soins de santé vitaux (…) sans précédent, au plus fort de ce que l’on a connu depuis le début de la guerre » a expliqué Lorena Bilbao, coordinatrice des opérations pour les programmes de MSF en Syrie.
L’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM), une ONG qui apporte son aide aux hôpitaux, médecins et populations victimes du conflit en Syrie, a déclaré que huit installations médicales avaient été bombardées mardi dans la Ghouta orientale.
La Russie a estimé « sans fondement » les accusations de l’Occident rendant l’armée de l’air russe responsable de morts civiles.
Selon l’OSDH, de nombreux avions survolant la Ghouta semblent être russes. Les Syriens se disent capables de faire la différence entre des appareils syriens et russes parce que ces derniers volent plus haut.
« Nous ne savons pas sur quoi sont fondées (ces accusations). Nous ne sommes pas d’accord avec elles », a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.
Moscou veut par ailleurs convoquer le Conseil de sécurité de l’Onu jeudi pour discuter de la situation dans la Ghouta orientale.
« C’est nécessaire, étant donné les inquiétudes dont nous avons eu connaissance aujourd’hui, pour s’assurer que toutes les parties peuvent présenter leur point de vue, leur compréhension de la situation et leurs solutions pour en sortir », a dit l’ambassadeur russe aux Nations unies Vassili Nebenzia.
(Avec Angus McDowall à Beyrouth et Suleiman al- Khalidi à Amman, Stephanie Nebehay à Genève, Michelle Nichols à New York et Polina Ivanova à Moscou,Nicolas Delame, Jean-Stéphane Brosse, Arthur Connan et Benoît Van Overstraeten pour le service français)