Les icônes chrétiennes qui ornaient les églises orthodoxes de Russie dès la fin du Xe siècle ont donné corps à un art subtil et codifié dont la découverte tardive a révélé au monde une flamboyance insoupçonnée.
Le fruit d’un schisme religieux et culturel
L’origine des icônes russes remonte à l’art religieux byzantin, dont elles empruntent dans un premier temps de façon scrupuleuse les sujets et les techniques picturales. Ce sont d’ailleurs des peintres venus en Russie de Grèce et de Constantinople qui ont produit les premières œuvres, lorsque la région s’est convertie à la religion orthodoxe en 988. Au cours des sept siècles qui suivent la naissance des icônes russes, celles-ci adoptent progressivement un style, une codification, une symbolique qui s’éloignent des canons de l’art byzantin et font d’elles un courant artistique unique.
Ainsi, à l’instar de leurs courants religieux respectifs et des cultures où ils se sont développés, les arts ecclésiastiques orthodoxes et catholiques (pour n’évoquer que ceux-là) suivront des chemins indépendants. Ceux-ci ne se croiseront plus avant le XVIIe siècle. L’influence de la renaissance italienne elle-même ne modifie pas significativement le cours de l’évolution de l’iconographie russe.
C’est un schisme au sein même de l’église orthodoxe russe, le Raskol, suscité par le patriarche Nikon en 1666 qui souhaite mettre en place des changements liturgiques, qui met fin à l’imperméabilité de cette école russe. Une partie de la production commence alors à s’inspirer de l’art flamand notamment et à introduire une part de réalisme figuratif. Par la suite et particulièrement sous l’impulsion de Pierre le Grand au XVIIIe siècle, l’iconographie s’ouvrira aux tendances successives de l’art européen, du rococo à l’art nouveau.
Un académisme complètement à part
La réalisation des icônes étant exclusivement réservée au monde ecclésiastique orthodoxe, elles se sont singularisées au cours de leur développement par des aspects stylistiques bien particuliers. La dorure des fonds, avant tout ; l’or ou les pigments jaunes utilisés produisent une lumière saisissante, censée représenter la magnificence divine dans laquelle baignent les scènes représentées.
Les techniques de restauration n’ont permis qu’au début du XXe siècle de retirer des œuvres en question une pellicule séculaire de suie de bougie et de mettre en évidence leur éclat unique. C’est la mise au jour de ces dorures qui a suscité l’attention du monde de l’art pour ces œuvres que l’on considérait jusqu’alors comme sombres et illisibles.
L’emploi d’une perspective centrée est également remarquable. Alors que la renaissance italienne établit les règles rigoureuses d’une perspective réaliste avec un point de fuite et des lignes fortes s’écartant vers l’horizon, l’iconographie russe utilise quant à elle un procédé exactement inverse en faisant converger les tracés vers le centre du premier plan de l’image. C’est alors tout l’univers représenté qui semble magnétisé par la scène divine, et l’attention du spectateur est immédiatement concentrée sur celle-ci.
La narration des scènes est parfois surprenante : il n’est pas rare de voir une même icône représenter différents événements bibliques, avec les mêmes personnages apparaissant plusieurs fois, à différents moments de leur vie. Le cercle ou la mandorle, une forme courbée proche de l’ovale, sont également fréquemment employés pour encadrer le Christ ou la vierge Marie et souligner leur caractère divin, tandis que le monde d’ici-bas doit se contenter de tristes carrés et lignes droites. Cette présence occasionnelle d’une géométrie symbolique n’est pas sans évoquer la sensibilité orientale.
De nombreuses autres singularités frappantes de l’iconographie russe, relatives aux couleurs, aux matériaux, à l’église orthodoxe et à la culture russes elles-mêmes, font de la découverte de cet art étonnant et incomparable une activité passionnante. Parmi les plus grands collectionneurs actuels d’icônes, figurent notamment Viktor Bondarenko, célèbre mécène et membre honoraire de l’Académie des arts de Russie ou encore Andrey Bokarev, homme d’affaires et président du groupe Transmashholding, le plus grand équipementier ferroviaire de Russie. Ce dernier posséderait l’une des plus grandes collections d’icônes au monde.