Le pamphlet de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! », d’une trentaine de pages, a été couronné d’un succès planétaire. Vendu à 4 millions d’exemplaires, ce discours humaniste, teinté d’une révolte et d’une fougue d’un jeune homme de 20 ans, a fait mouche. Dans cette invitation et ce partage, l’emblématique résistant a jeté les jalons d’une prise de conscience collective à travers une « insurrection pacifique ».
« Je vous souhaite d’avoir votre motif d’indignation… ». Le texte de l’humaniste Hessel a trouvé écho auprès des citoyens d’une Europe en pleine récession économique, frappée durement par la crise. Certains pays ne savent plus à quel saint se vouer et sont au bord de la faillite. La jeunesse, en nombre dans les pays du Sud du Vieux continent, est la première des victimes. L’Espagne a été le terreau par excellence du mouvement qui s’est approprié la dénomination de la diatribe de Stéphane Hessel « les indignés ». « Indignados » est né.
L’appel
Pour les Espagnols, le texte de la figure emblématique de la résistance a fait les mêmes effets que l’« Appel du 18 juin 1940 » lancé par
le Général de Gaulle depuis Londres. Dans un contexte économique insoutenable, le chômage atteignant un peu moins de 45%, en 2011, quelques groupes protestataires espagnols ont appelé à une mobilisation contre la crise et contre le système en général. Le ras-le-bol généralisé va naturellement conduire d’autres espagnols « indignés » et révoltés à grossir les rangs du mouvement. Entre mai et juin 2011, le mouvement siègera à Puerta del Sol à Madrid, une place emblématique de la capitale espagnole. La petite graine plantée deviendra un arbre imposant en moins de deux semaines : des dizaines de milliers de personnes occuperont la place sous les yeux des caméras du monde entier.
Après l’Espagne, le mouvement citoyen se répandra comme une trainée de poudre dans d’autres pays, de la Grèce aux Etats-Unis. L’éveil du monde arabe, à travers le « printemps arabe », est également une conséquence indirecte de cette prise de conscience généralisée. Le principe du mouvement est tout simple : dénoncer les dérives, sans violence, sur les places publiques. Stéphane Hessel était convaincu dans son manifeste que « l’avenir appartient à la non-violence ». Les indignés font également appel massivement aux réseaux sociaux, l’un des moyens de mobiliser en grand nombre la jeunesse.
Insurrection citoyenne
La transformation du système et de ses corollaires, est au cœur des revendications des Indignés. Des citoyens conscients ont fait de ce thème leur cheval de bataille. Ainsi, à la lumière de la crise européenne, ce combat est d’actualité. Cause espagnole, d’abord, elle a, par la suite, touché d’autres pays. La grande ligne des revendications est commune, mais les aspirations réelles divergent pour chaque pays. Ainsi, aux Etats-Unis, les Indignés se sont mobilisés contre Wall Street et le capitalisme financier. C’est le même leitmotiv pour la Grande Bretagne. Pour le pays Ibérique, c’est plutôt l’extrême précarité qui touche de plus en plus de citoyens qui est dénoncée avec, évidement, en toile de fond le rôle des gouvernants et du monde des finances.
Nul n’est prophète en son pays
Si la diatribe de Hessel est à l’origine d’un mouvement sans précédent dans le monde, paradoxalement en France, la marche des indignés ne s’implantera pas d’une manière durable. La « journée mondiale des Indignés », célébrée le 15 octobre 2011, n’a réuni qu’un millier de personnes dans l’Hexagone contre plusieurs dizaines de milliers en Allemagne et en Italie, et des centaines de milliers en Espagne. Le pic de participants n’a jamais dépassé les 3 000 personnes.
Cette tiédeur s’explique, tout d’abord, par une situation économique plus « acceptable » que dans les autres pays d’Europe. Le taux de chômage de la jeunesse, bien que sur la pente ascendante, n’est pas encore alarmant. En effet, en Espagne, les chiffres indiquent que le chômage atteint 21 % des actifs et 45 % des moins de 25 ans. En Grèce, l’austérité inédite appliquée par l’Etat central sous le regard sévère de la Troïka a instauré un climat de morosité économique ambiant, assorti d’un taux de chômage réel supérieur à 20 %. L’échec du mouvement est également à mettre au crédit d’un manque d’organisation et de la surveillance étroite des forces de l’ordre. Sur le plan idéologie, l’absence de cause bien définie empêche le mouvement de s’épanouir pleinement. En effet, en France, un parti se juge par son programme, or les Indignés ne demeurent qu’un mouvement spontané qui n’a pas de leitmotiv clair.
L’héritage
Tant que la crise et les inégalités sociales prévaudront en Europe et dans le monde, la pensée de Stéphane Hessel occupera toujours une place particulière. Le contexte actuel en occident et dans les autres parties du globe est propice à l’émergence d’un changement du même acabit que celui de mai 1968. En effet, les valeurs traditionnelles (entraide, bienveillance de l’Etat, sécurité sociale, etc.) ont cédé face à la pression de la finance internationale. Stéphane Hessel avait rappelé dans son ouvrage ces ensembles de « principes et de valeurs sur lesquels se reposerait la démocratie moderne ». Le mouvement des Indignés pourrait donc servir de base de discussions d’envergure à la manière des forums mondiaux.
Sur un autre aspect, les Indignés pourraient également aller plus loin en se muant en groupe de pression politique, cependant, sans se transformer en parti. Les Indignés agissent indirectement sur les politiques des États concernés. En Espagne, un pas a été franchi car la réforme sur la loi électorale proposée par les « Indignados » a inspiré les revendications de certains petits partis. Ainsi, guidés par les pensées bienveillantes de Hessel, les Indignés pourraient choisir d’autres alternatives au système mis en place lésant la majorité. Une force créatrice voulue par le résistant car « créer, c’est résister. Résister, c’est créer », avait-il conclu.