Peter Norman, le troisième homme Peter Norman, le troisième homme Peter Norman, le troisième homme
Biographie

Peter Norman, le troisième homme

Publié le 30 décembre 2015,
par VisionsMag.
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Mort dans l’anonymat, sorti de l’oubli par Internet, l’athlète australien Peter Norman a payé très cher son engagement en faveur des droits civiques.

16 octobre 1968. Les 19èmes Jeux olympiques battent leur plein, dans une atmosphère lourde et pesante. La finale du 200 mètres hommes vient de s’achever, remportée par l’américain Tommie Smith, qui établit un nouveau record du monde. Il n’aura fallu que 19 secondes et 87 centièmes à l’athlète pour parcourir la distance, suivi par l’australien Peter Norman et l’américain John Carlos, qui franchissent la ligne d’arrivée au coude-à-coude. Les sprinteurs montent sur le podium, l’hymne des Etats-Unis retentit, et le monde assiste médusé à un geste qui restera gravé dans les mémoires.

Brandissant chacun un poing ganté de noir, symbole du Black Power, les deux Afro-Américains, tête baissée, protestent ouvertement contre la ségrégation raciale. Dans le stade, la foule, qui avait entonné l’hymne national, se tait soudainement. A leur côté, placide et droit, le blanc Peter Norman détonne. Pourtant, celui qui ne brandit pas le poing est l’un des plus grands héros de cette soirée, un héros méconnu, décrié, puis oublié.

Peter Norman sportif engagé

En plus d’être un athlète brillant, Peter Norman est aussi un militant des droits de l’homme. L’Australie, en matière d’inégalités et de ségrégation, se situe en 1968 au même niveau que les Etats-Unis. Les Aborigènes y sont privés de droits civiques et sont alors considérés comme des sous-citoyens, ce qui révolte Peter Norman. Pas étonnant que dans ce contexte, le combat des Noirs américains lui apparaisse si proche du sien. Dans les instants qui suivent la course, les deux américains s’avancent vers lui pour lui faire part de leur projet. « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour », déclara par la suite John Carlos. L’Australien, enthousiaste, leur déclare son soutien, et décide d’arborer sur sa poitrine le badge de l’Olympic Project for Human Rights. Carlos ayant oublié ses gants, c’est Norman qui suggère aux deux athlètes de se partager une paire, l’un brandissant le poing gauche, l’autre le droit. L’instant sera immortalisé par la photographie de John Dominis, dont le cliché reste encore aujourd’hui d’une exceptionnelle intensité.

Contexte explosif

Cet automne 1968 s’inscrit dans un contexte extrêmement tendu. Aux Etats-Unis, le pasteur Martin Luther King a été assassiné, de même que le candidat à la présidence Robert Kennedy. Les émeutes raciales s’intensifient, tandis qu’en Europe, les chars soviétiques pénètrent dans Prague. La jeunesse se radicalise, et proteste contre la guerre du Vietnam. Au Mexique, quelques jours avant la cérémonie d’ouverture des J.O., l’armée fait feu sur des étudiants, laissant 200 à 300 personnes à terre. Avery Brundage, président du Comité olympique, avait prévenu qu’aucune démonstration à connotation politique ne serait tolérée de la part des athlètes : inflexible, les sanctions ne tarderont pas à tomber pour les deux américains, mais aussi pour Peter Norman. A 28 ans, il y aura bien, pour l’athlète, un avant et un après Mexico.

Revers de la médaille pour Peter Norman

Sans attendre, Tommie Smith et John Carlos sont immédiatement exclus du village olympique. Leur carrière sportive prend fin. Suivront la misère, les menaces de mort, le chômage et la dépression. Si Norman, lui, n’est pas exclu de la compétition, sa fédération n’oubliera pas son geste. Malgré des performances de haut-vol, il ne sera pas retenu pour les Jeux de 1972 se déroulant à Munich. Retournant à sa carrière d’enseignant, il sera aussi, pour d’obscures raisons, privé de son métier. Lorsqu’en 2000, l’Australie organise les Jeux de Sydney, c’est la fédération américaine qui invitera Peter Norman, toujours ostracisé par son pays d’origine. Lorsqu’il succombe d’une crise cardiaque en 2006, John Carlos et Tommie Smith se rendent à Melbourne pour porter son cercueil, rendant hommage au « seul sportif blanc qui eut assez de cran ».

Peter Norman, le troisième homme
Mort dans l’anonymat, sorti de l’oubli par Internet, l’athlète australien Peter Norman a payé très cher son engagement en faveur des droits civiques.
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Incompréhension

Toute sa vie durant, Peter Norman aura donc fait les frais d’une perpétuelle injustice Trop timoré pour certains, qui lui reprochèrent de ne pas avoir été plus démonstratif dans son soutien aux deux autres athlètes présents sur le podium ; trop engagé, selon les instances sportives, pour qui le sport ne doit en aucun cas refléter une lutte politique, aussi importante soit-elle. Quant aux partisans de la ségrégation, le coureur représentant des valeurs honnies se devait d’être puni pour avoir osé cautionner des gestes de rébellion. Contrairement à Tommie Smith et John Carlos, qui sont par la suite devenus des symboles, Peter Norman a été oublié, comme en témoigne le monument érigé en Californie à la gloire des deux Noirs américains. Seuls ces derniers y figurent, la seconde place du podium ayant été laissée vide pour permettre aux badauds de s’y faire photographier. Le courage de Peter Noman, qui n’a jamais regretté de s’être mêlé à ce combat, mérite amplement d’être enfin reconnu.

Sources des images : thesundaytimes.co.uk / honeyard.com /earthenergyreader.wordpress.com