Mnangagwa, un "crocodile" qui veut rassembler les Zimbabwéens
HARARE (Reuters) – Lorsque Robert Mugabe en 2014 annonça la destitution de son vice-président devant 12.000 membres survoltés de son parti, Emmerson Mnangagwa était assis tranquillement parmi la foule, une casquette de baseball vissée sur la tête.
Le visage de celui qui devait tirer le plus profit de ce limogeage ne trahit alors aucun sentiment particulier, cette impassibilité étant un réflexe de survie forgé au fil des décennies passées au service de l’imprévisible Mugabe.
Aujourd’hui, Emmerson Mnangagwa, dont le propre limogeage en début de mois a motivé l’intervention de l’armée et précipité la démission de Robert Mugabe, s’apprête à succéder au vieux président, qui dirigeait le pays depuis l’indépendance en 1980.
Il prêtera serment mercredi ou jeudi, a déclaré à Reuters Patrick Chinamasa, chargé des questions de droit au sein du parti au pouvoir, la Zanu-PF.
Selon le chef du groupe parlementaire de cette formation, Emmerson Mnangagwa sera président jusqu’à l’expiration du mandat de Robert Mugabe et la prochaine élection présidentielle, qui doit avoir lieu au plus tard en septembre 2018.
Des questions se posent désormais sur la manière dont il entend diriger le Zimbabwe. Dans un communiqué publié mardi du lieu où il s’est réfugié après sa destitution, il a appelé les Zimbabwéens de tous horizons à oeuvrer ensemble à la reconstruction de l’économie du pays.
LE MASSACRE DES NDEBELE
« J’aspire à rassembler tous les Zimbabwéens pour inaugurer une nouvelle ère, de laquelle seront bannis la corruption, l’incompétence, le manquement au devoir, la fainéantise, la décadence sociale et culturelle », a-t-il déclaré.
« Dans ce nouveau Zimbabwe, il est important que tout le monde se rassemble pour la reconstruction du pays, afin que celui-ci atteigne à la gloire. Ce n’est pas la mission de la seule Zanu-PF, mais de l’ensemble de la population du Zimbabwe », a-t-il assuré.
Agé de 75 ans, Emmerson Mnangagwa a été l’un des plus fidèles lieutenants de Robert Mugabe, aux côtés duquel il s’est retrouvé en prison, a combattu durant la guerre d’indépendance puis a gravi les échelons du pouvoir.
Lorsque Robert Mugabe le nomme vice-président en 2014, il fait figure de successeur potentiel.
Depuis l’indépendance, il a été de tous les gouvernements, détenant des portefeuilles aussi variés que la Sécurité d’Etat, la Défense ou les Finances, ou le poste de président du Parlement.
Il s’est acquis au fil des ans le surnom de « Ngwena », c’est-à-dire « crocodile », animal réputé dans les coutumes du Zimbabwe pour sa rapidité, sa discrétion et son caractère impitoyable.
Au milieu des années 1980, il était chargé de la sécurité intérieure lorsque Robert Mugabe déploya une unité d’élite, entraînée en Corée du Nord, face aux rebelles fidèles à son grand ennemi, Joshua Nkomo.
Selon les ONG des droits de l’homme, 20.000 civils, essentiellement de l’ethnie des Ndebele, ont alors été tués. Mugabe nie qu’il y ait eu génocide ou crime contre l’humanité, mais a reconnu qu’il y a eu alors un « moment de folie ».
IL ÉCHAPPE A LA POTENCE A 19 ANS
Le rôle exact d’Emmerson Mnangagwa demeure nimbé de mystère, ce qui est typique d’un homme formé à la guérilla par les Chinois dans les années 1960 et qui est toujours resté dans l’ombre de son mentor Mugabe.
Cultivant le secret, il préfère opérer à couvert, et lorsqu’il est acculé dans ses retranchements, il recourt à des plaisanteries et à des futilités pour éviter toute discussion de fond, selon des membres de sa garde rapprochée.
« Il a tout à fait conscience que son image publique est celle d’un homme inflexible, mais c’est une personnalité nettement plus complexe – un étonnant conteur, agréable à écouter », dit un député de son entourage.
C’est en prison, dans les années 1960, après avoir été condamné à mort pour sabotage par les Britanniques, qu’Emmerson Mnangagwa s’est formé à la politique.
Agé de 19 ans seulement, il avait été capturé alors qu’il appartenait à l’une des toutes premières unités de guérilla en lutte contre le régime blanc de ce qu’on appelait alors la Rhodésie du Sud.
C’est grâce à son âge qu’il échappe à la potence, la loi interdisant alors d’exécuter des condamnés de moins de 21 ans.
Après une dizaine d’années derrière les barreaux, au cours desquelles il a fréquemment partagé la cellule d’un certain Robert Mugabe, il devient l’éminence grise du chef de la lutte de libération et dirige le redouté service de sécurité intérieure du mouvement de guérilla, avant l’avènement de l’indépendance du Zimbabwe, en 1980.
(par Ed Cropley et Cris Chinaka. Eric Faye pour le service français, édité par Gilles Trequesser)