Réunion de crise à Bruxelles après le putsch manqué en Turquie
BRUXELLES (Reuters) – Les ministres européens des Affaires étrangères se réunissent lundi à Bruxelles et devraient à cette occasion inviter le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à agir dans le respect de la loi et des droits de l’homme, après le coup d’Etat manqué de la semaine dernière.
Mails ils n’ont guère de moyens de pression sur ce partenaire stratégique.
Une position commune doit être adoptée à l’issue d’un petit-déjeuner de travail en présence du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui partage les craintes de ses homologues européens au sujet de la réaction d’Ankara. Le rôle primordial de la Turquie dans la lutte contre les djihadistes syriens et dans la maîtrise des flux migratoires seront au centre des discussions.
Ce qui devait être un conseil de routine consacré aux conflits libyen et ukrainien, à l’immigration en provenance d’Afrique et aux prétentions territoriales chinoises, s’est transformé en réunion de crise en raison des événements survenus coup sur coup en fin de semaine dernière, à commencer par la formation accélérée du gouvernement britannique, désormais dirigé par Theresa May.
L’eurosceptique Boris Johnson, nommé aux Affaires étrangères, sera entendu lundi pour la première fois par ses pairs, qui s’interrogent notamment sur le rôle d’une Grande-Bretagne hors UE dans le dispositif de sécurité commun, plus encore après l’attentat revendiqué par l’Etat islamique (EI) qui a fait 84 morts jeudi à Nice.
Après avoir observé une minute de silence, les ministres des Affaires étrangères de l’UE réfléchiront aux moyens à mettre en oeuvre pour améliorer leur coopération en matière de lutte antiterroriste.
Enfin, il sera question du coup d’Etat manqué de vendredi en Turquie, qui a donné lieu à une vaste purge dans les rangs de l’armée et de l’appareil judiciaire.
« LES VALEURS NE COMPTENT PAS TANT QUE ÇA »
John Kerry, qui devrait passer deux heures avec ses homologues européens, a assuré dimanche à Luxembourg que l’événement n’avait pas affecté les opérations contre l’EI, malgré la paralysie de la base turque d’Incirlik, d’où décollent une partie des avions américains et allemands de la coalition.
Jean-Marc Ayrault s’est néanmoins interrogé dimanche sur la « fiabilité » de la Turquie dans la lutte contre le mouvement djihadiste. « Il y a une part de fiabilité et une part de suspicion, il faut être sincère », a reconnu le chef de la diplomatie française, ajoutant que le soutien exprimé à Erdogan ne devait pas être considéré comme un « chèque en blanc ».
Les Vingt-sept auront fort à faire au cours des trois prochains mois pour finaliser l’accord conclu en mars avec Ankara, qui, outre le renvoi des migrants arrivés en Grèce, prévoit le versement d’une aide de six milliards de dollars pour les 2,7 millions de réfugiés syriens accueillis en Turquie, la relance des négociations d’adhésion à l’UE et l’exemption de visas pour les Turcs désireux de s’y rendre pour de courts séjour.
Pour obtenir sa signature, les Européens ont dû mettre en sourdine leurs critiques du traitement de la minorité kurde ou des entorses répétées à la liberté d’expression, mais l’exemption de visa reste problématique. Bruxelles exige pour sa mise en oeuvre une réforme de la législation turque antiterroriste, ce que le gouvernement a exclu.
Il y sera sans doute encore plus réfractaire après le coup d’Etat. La mesure doit en outre être approuvée par un Parlement européen très attaché au respect des droits de l’homme.
Le gouvernement turc a menacé de laisser les migrants reprendre leur route vers l’ouest si l’UE ne respecte pas ses engagements.
« Il n’y a pas de réelle obligation pour le président turc de renoncer à sa mise au pas de la justice, des médias et du reste », estime Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara désormais membre du cercle de réflexion Carnegie. « Le réflexe politique de l’UE sera toujours de parler des valeurs, mais les valeurs ne comptent pas tant que ça », ajoute-t-il, sous-entendu face aux enjeux de la coopération turque.
(par Alastair Macdonald et Robin Emmott. Avec Paul Taylor, Jean-Philippe Lefief pour le service français)