Quand les couleurs s’entrechoquent et s’entremêlent dans une joyeuse pagaille qui, à bien y regarder, est quand même cohérente, le spectateur ou l’amateur d’art ne peut qu’être médusé. Les tableaux de Sabine Tabachnik sont les résurgences de souvenirs d’enfance passée sur les rives suisses du Lac Léman. Une valse de couleurs gravée à jamais dans l’inconscience de la petite Sabine Reuter. Habitée par les fantômes et les muses de l’art, elle gardera enfermée longtemps ce talent inné et naturel chez elle.
L’électro-choc
L’exposition des œuvres de Paul Klee à Berne sera l’électrochoc qui changera sa vie. Un tournant comme on en prend rarement dans sa vie. Les tableaux de l’un des maîtres de Bauhaus ne laisse pas insensible la jeune Sabine. Dès cet instant, elle sait que sa vie sera dévouée à l’art, même si la passion reste encore au stade dilettante. Les œuvres de Sabine sentent bon cette influence « Kleenienne » à travers les couleurs, la dynamique de l’ensemble et une pointe surréaliste.
Malgré sa relative timidité, elle sera une assidue à toutes les formes et les expressions artistiques dans lesquelles la création peut se prévaloir : musique, peinture, sculpture, architecture, poésie, musique contemporaine, cinéma, etc. Une émulation consciente ou inconsciente de Paul Klee qui, à son époque et à travers ses œuvres, s’était déjà intéressé aux différentes facettes de la culture. Mais la timidité et une certaine pudeur lui conduiront à inhiber ce talent qu’elle sait inné chez elle. D’ailleurs, les paysages magnifiques de son pays de Vaud natal sont une incitation à la création. L’ésotérisme, qui prendra une place importante dans sa vie, des cadres lui fait pousser des ailes d’artiste.
A la découverte de la découverte
A l’âge de 20 ans, Sabine Reuter décide de franchir le pas, en quittant son continent pour le nouveau monde. Que de mieux pour une artiste en herbe que les douces promesses d’une Amérique éprise de liberté et terreau par excellence d’artistes de renom ?
Durant deux années, elle choisit de s’installer à Boston. Une ville taillée sur mesure pour la gamine avide de découvertes culturelles. Les disciplines artistiques et les différentes formes d’expression culturelles y ont trouvé une terre d’implantation fertile. Les universités, les bibliothèques et les festivals dans la ville contribuent à nourrir sans cesse l’esprit aventureux et les amateurs d’art. Sabine Reuter se délecte de cette essence. Elle s’en inspire et commence, en balbutiant, à peindre des tableaux. Finalement, son « puritanisme artistique », et une honte légère pour elle-même, finiront par systématiquement la pousser à détruire ses œuvres. Combien de tableaux ont été ainsi détruits par ses propres mains ainsi ?
L’apprentissage pour Sabine s’est fait tout naturellement. D’ailleurs, au fond d’elle-même, ce sont les œuvres qui ressurgissent en surface. L’inspiration incontrôlée la pousse à dessiner. Mais l’éternelle insatisfaite devant le Seigneur se remet souvent en cause. Une remise en question continuelle qui la transcendera bien plus tard.
Propulsion artistique
Aux Etats-Unis, elle « tombe amoureuse » de Mark Rothko, un des grands maîtres américains de peinture. Ses œuvres expressionnistes et avant-gardistes ont eu des échos particuliers auprès d’elle. Elles rappellent les tableaux de son premier amour Paul Kleen. Tout comme le maître allemand, Mark Rothko aimait la littérature et la musique. Des passions qui nourriront d’ailleurs l’esprit de Sabine. Elle partagera également avec son maître américain, ce surréalisme suave, chatoyant et inondé de couleurs. Dans l’esprit de la jeune femme, le style singulier de ses champs irradiant de couleur, solitaires mais tout autant liés aux images transcendantes de la mythologie provoque une véritable fascination. Des tableaux presque ésotériques en découleront, cela représente une véritable seconde nature chez elle. La mythologie et les sciences occultes occuperont une place de choix dans son esprit. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce monde-là qu’elle fera la connaissance de Michel Tabachnik, son mari.
Aux Etats-Unis, sa passion sa limite pour l’art est assouvie. L’attraction pour les grands maîtres américains est de plus en plus forte. Elle n’hésitera pas à s’abreuver à la source pour assouvir sa soif. Sabine fera de nombreuses visites au musée Whitney, le temple de l’art du XXème siècle américain. L’art moderne made in USA y est sublimé, l’artiste en herbe puisera ses inspirations dans ces toiles expressives et souvent flamboyantes. Après cette escapade américaine, Sabine Reuter s’établira à Paris, la ville par nature de la romance. Une capitale de l’art également. Ce retour sur le Vieux continent scellera pour elle de nombreuses amitiés dont Iannis Xenakis, Arturo Carmassi, André Gence, Jean Tinguely, Marcel Imsand. Ce dernier, un photographe renommé dont elle sera l’assistante, l’exhortera à sortir de l’anonymat et à assouvir sa passion pour l’art. L’artiste « éclot » doucement à ses côtés. Sabine Reuter, entre-temps devenue Sabine Tabachnik se lancera enfin dans la carrière de peintre brillante qui lui a été promise. En 1990, l’année où elle s’est enfin résolue à ne plus jeter aux rebuts ses œuvres, constituera un autre tournant…
Une seconde naissance, une éclosion pour une femme qui a toujours été une artiste.