À l’aube d’élections législatives anticipées en Turquie du 1er novembre organisées suite à l’échec de l’AKP aux élections de juin, le parti pro-kurde réformiste HDP se prépare pour une nouvelle bataille vers la quête d’une paix durable en Turquie. Son arme ? Le pacifisme prôné par son président Selahaddin Demirtaş. Porte drapeau d’une nouvelle vision il est devenu l’homme à battre pour un Erdoğan à bout de souffle. Portrait d’un homme de conviction mais aussi d’ambition qui croit dur comme fer qu’il est possible pour un homme politique en Turquie de « ne pas sacrifier la paix sociale pour les ambitions individuelles ». C’est un drôle de sort pour le natif d’Elazig, l’un des bastions les plus durs du nationalisme turc, que de devenir le président du HDP, parti pro-kurde réformiste. Selahaddin Demirtaş a comme beaucoup de Kurdes, grandi avec la guerre, les persécutions, à écouter des chansons kurdes secrètement alors qu’il ne les comprenait même pas. C’est à l’âge de 18 ans, en 1991, qu’il estime avoir eu un électrochoc qui allait bouleverser son avenir. L’enterrement d’un responsable politique kurde, Vedat Aydin, assassiné par des paramilitaires turcs, la condamnation de son frère à 22 ans de prison pour ses liens avec le PKK ont éveillé sa conscience politique et défini la cause de son engagement.
Un quadragénaire à la carrière politique fulgurante
L’homme de droit est diplômé de la faculté d’Ankara et exercera plusieurs années comme avocat. Mais sa foi en la cause kurde le fera prendre finalement la voie de la politique. Sa première réelle apparition, il la doit à Osman Baydemir, qui deviendra, quelques années plus tard, maire de Diyarbakir, capitale historique du Kurdistan. Ce dernier devient président de l’association des droits de l’homme et fait de Selahaddin Demirtaş l’un de ses cadres les plus emblématiques. En 2006, il prend pour de bon les rênes de l’association. Une présidence marquée par la dénonciation des crimes commis par l’armée turque durant les années 90.
Un an plus tard, son destin va s’accélérer : à l’occasion des élections législatives turques de 2007, Demirtaş sera élu député de Diyarbakir et devient le leader du parti pro kurde de l’époque, le DTP. Après son interdiction en 2009, le DTP devient le BDP et, un an plus tard, le jeune Demirtaş est élu, avec Gültan Kışanak, co-président. Après sa réélection en 2011 en tant que député, il accède à la coprésidence du HDP cette fois et se présente à la présidentielle turque. Une élection pour laquelle il recueillera 9,77% des suffrages exprimés. Finalement lors des élections législatives de juin 2015, il accède à la députation d’Istanbul, forte d’une communauté de 5 millions de Kurdes issus de la diaspora.
Selahaddin Demirtaş un stratège politique hors-pair
Demirtaş a un style qui lui est bien particulier : entre charme et fermeté, finesse et obstination. Son plus grand atout dans une Turquie qui résout les conflits par la force ? Le pacifisme ! Une ligne qu’il prône sans relâche. Là où le gouvernement turc l’attend au tournant, notamment dans le contexte de tension entre l’armée et les guérilleros du PKK, Selahaddin Demirtaş, calme, martèle sa volonté à éviter les chemins belliqueux.
Une stratégie politique plus qu’efficace : d’une part, le co-président du HDP se distancie de l’image pro-PKK que revêt le HDP. Il situe ainsi sa ligne politique sur une base de pseudo-neutralité discréditant les slogans ultra-nationalistes turcs de connivence entre le PKK et le HDP. D’autre part, il s’attire des sympathisants à proprement dit « Turcs » en faveur d’une résolution, dans la paix, de la question kurde en Turquie et étend en ce sens son électorat mais surtout son capital sympathie. Enfin, il se forge une grande popularité auprès des gouvernements étrangers, des organisations non gouvernementales, des associations pour la paix …
Un plan bien rodé et minutieusement conçu qui porte ses fruits à en voir le résultat de l’élection législative de juin 2015. Malgré les intimidations des forces de police ou encore des soupçons de trucage des votes, le HDP avait réussi à recueillir 13 % des suffrages exprimés et venait talonner le parti nationaliste turc, le MHP. Une première dans l’histoire de la Turquie moderne. Désormais le HDP compte 80 parlementaires au sein de la Grande assemblée et s’affirme comme un acteur de poids dans la politique nationale turque. Une véritable évolution du rapport de force que le gouvernent de l’AKP a dû mal à reconnaître.
Le HDP, le parti de l’ouverture
Mais là où le HDP de Demirtaş se différencie particulièrement des autres partis, c’est qu’il a réussi à réaliser ce qu’aucun parti turc n’avait réussi jusqu’alors. Intégrer dans sa mouvance les diverses minorités, les homosexuels, les femmes et les écologistes. Pour preuve, c’est sous l’étiquette du HDP qu’Erol Dora est devenu le premier Chrétien de Turquie à être élu député depuis 50 ans. En outre, parmi ces 80 parlementaires, 31 sont des femmes sur une liste quasi paritaire.
En cela, Demirtaş a réussi à faire du HDP, un parti qui n’est pas exclusivement voué à représenter et défendre les intérêts des Kurdes mais aussi à unir sous une même bannière des communautés diverses et variées trop souvent stigmatisées par les différents pouvoirs centraux.
Une vague de fraicheur qui met en déroute le gouvernement d’Erdoğan ne sachant plus de quelle manière déstabiliser un parti qui rallie chaque jour de nouveaux sympathisants et notamment des électeurs qui autrefois ne juraient que par l’AKP, le parti au pouvoir.
Selahaddin Demirtaş n’a jamais eu autant le vent en poupe et il compte bien en profiter jusqu’au bout. À l’heure où le Kurdistan de Turquie s’embrase de nouveau, où les couvre-feux sont de nouveaux d’actualité et où les combats font rage causant la mort de nombreux civils par les forces armées turques, la partie d’échec que livre le co-président du HDP est loin d’être terminée.
Sources des photos: serihaber.net/aktifhaber.com