Shahrzad révolutionne l’audiovisuel iranien
Première production privée d’envergure en Iran, la série Shahrzad bouscule le paysage audiovisuel au pays de l’Ayatollah Khomeiny. Sortie en 2015, la série à caractère historique a malgré tout réussi à trouver son public, notamment via une distribution nationale dans les supermarchés. La série flirte constamment avec la censure iranienne avec ses critiques à peine voilées du régime actuel, en jouant sur la distance spatio-temporelle et le filtre de la prescription historique pour exprimer en toile de fond les contestations du régime au pouvoir.
Un Iran historique et révolu, mais pas si lointain
Le Téhéran mis en scène dans Shahrzad rappelle l’Iran de la pré-révolution islamique. Hommes et femmes font la fête ensemble, l’alcool coule à flots, les cabarets sont pleins à craquer, le théâtre national joue Othello et les petits cinémas de la rue Lalehzar projettent Casablanca, le classique de Raoul Curtiz ». Si la série, diffusée depuis octobre 2015, reste tolérée par la censure, c’est qu’elle met en scène une époque révolue, le coup d’Etat de 1953, dont l’historiographie s’accorde aujourd’hui à reconnaitre que le putsch fut organisé conjointement par les services secrets américains (CIA) et britanniques (MI6). Ce qui s’accommode harmonieusement avec l’idéologie anti-impérialiste du pouvoir en place à Téhéran.
Mais Sharzad, bien qu’anachronique avec le régime actuel, alimente la polémique en présentant de nombreux parallèles avec la situation politique du temps présent. « Via le spectre d’un Iran régi par un Chah despotique, la fiction présente des similitudes marquantes avec la situation politique actuelle » s’étonne le quotidien britannique The Guardian.
Un appel à la liberté maquillé en romance
Après le coup d’Etat de 1953, Shahrzad, étudiante en médecine, est forcée d’épouser un proche du Chah. Mais éprise de liberté la jeune femme, interprétée par Taraneh Alidoosti, va choisir de braver les interdits pour dessiner son propre destin et vivre pleinement son amour pour Fahrad, un jeune journaliste peu apprécié des autorités.
« La série ne critique pas seulement les politiques à l’œuvre sous le régime du Chah d’Iran, elle met aussi en lumière de façon subtile un ensemble de normes et croyances considérées encore comme rétrogrades à l’époque, mais qui sont malgré tout toujours présentes dans la société iranienne » poursuit The Guardian. Certains médias iraniens ont fait valoir que Shahrzad soit un baromètre de l’évolution socio-politique du pays au cours des dernières années et que la série a pris au dépourvu l’institut national de la censure, en sous-estimant son influence sociétale. Certains tabous sociaux comme les relations extraconjugales sont des sujets qui provoquent le débat public, mais qui ne sont pas encore traités à la télévision iranienne, déplore Al-Monitor.
Shahrzad : le reflet d’une société iranienne qui évolue
La plupart des experts semblent insister sur l’absolue nécessité pour les jeunes Iraniens de la société d’aujourd’hui de développer de nouveaux canaux d’arts et de nouveaux lieux de culture. Cela peut sans doute expliquer pourquoi une série comme Shahrzad a eu un tel succès alors que d’autres productions, comme The Puzzle of the Shah, la ruineuse série TV financée par le régime, n’ont pas reçu le même accueil auprès du public. Vendus dans les supermarchés, ces dvd sont en partie « entrés dans ‘le panier de la ménagère’ de chaque famille, tout comme le pain et le lait », observe Mohammad Reza Adineh, cinéaste et ancien directeur de l’Institut des médias.
Beaucoup d’observateurs considèrent que la série va repousser les limites de la censure officielle en Iran car Shahrzad est une production locale tout à fait légale. Sa licence a été délivrée par le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique qui opère sous la supervision du président Hassan Rouhani, et non pas par le radiodiffuseur officiel d’État, l’Islamic Republic of Iran Broadcasting (IRIB).
Un moyen d’évasion et de résistance
Sous le régime de Khomeiny, l’offre audiovisuelle se résumait à deux chaînes de télévision et deux stations de radio. Les Iraniens, saturés d’infos sur la guerre contre l’Irak, n’avaient alors qu’une seule planche de salut : les vieux films d’avant la révolution. Aujourd’hui encore, regarder des séries comme Shahrzad reste l’un des rares moyens d’échapper aux stations de radiodiffusion officiels de la République islamique.
Sources des photos : abbasifard.ir / livezindi.in