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La philanthropie mafieuse des cartels mexicains

Publié le 14 juin 2020,
par VisionsMag.
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C’est à une gigantesque opération de séduction que se livrent les principaux cartels mexicains. Quasiment aucune province, aucune ville ni campagne, même les plus reculées, n’échappent à leurs démonstrations de philanthropie largement mises en valeur sur les pages des réseaux sociaux. En se substituant ainsi à l’action de l’Etat, les organisations criminelles entendent tirer profit d’une crise qui n’a pas fini d’ébranler le pays.

Des cartels et une marque de vêtements

Denrées alimentaires non périssables, produits de première nécessité, masques et flacons de gel hydroalcoolique figurent sur la liste des marchandises contenues dans les précieux cartons. Comme dans la plupart des 32 états du Mexique, les habitants de la province de Guadalajara ont reçu ces aides distribuées par de bien singuliers anges gardiens. Sur les emballages figurent en bonne place, bien visibles, les logos et les coordonnées des cartels à l’origine de ces dons. 

Dès le 30 mars, le cartel del Golfo a initié les premières distributions de vivres dans l’Etat du Tamaulipas, dans le Nord-Est du pays. Les autres cartels, ceux de Jalisco Nueva Generación, Los Viagras et Sinaloa ont immédiatement emboîté le pas, suivis par la très officielle marque « El Chapo 701 ». Tous se sont immiscés dans cette nouvelle brèche laissée béante par un gouvernement dépassé par la crise, laissant aux organisations mafieuses toute la marge de manœuvre dont elles n’auraient jamais osé rêver. 

Manque de revenus et récession en vue

Dans un pays où près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, ces aides constituent une manne bien difficile à refuser. Confrontés de plein fouet à une crise tant sanitaire qu’économique, de nombreux travailleurs ont perdu toute source de revenus, sans pour autant bénéficier de compensations gouvernementales. 

60 % des emplois dépendraient du secteur informel durement touché par la fermeture des frontières et par les mesures de confinement. Les émigrés vivant aux Etats-Unis, qui avaient coutume d’envoyer une partie de leurs salaires à la famille restée au pays, sont eux aussi impactés par le Covid-19. Dans une estimation provisoire, le FMI prédit que le Mexique devrait enregistrer cette année une récession de l’ordre de 6,6%. 

Les amulettes du président

Le président Andrés Manuel López Obrador, élu en 2018 sur un programme de réconciliation nationale et de relance économique, a jusqu’à présent affronté la crise de manière chaotique et contradictoire. S’opposant dans un premier lieu aux mesures de confinement et se fiant ouvertement à des amulettes religieuses pour se protéger du virus, le président n’a pas hésité à serrer des mains, notamment celle de la mère du célèbre narcotrafiquant Joaquín « El Chapo » Guzmán, rencontrée le 29 mars dernier. 

Incarcéré aux Etats-Unis, le trafiquant de Sinaloa est encore considéré comme un héros pour de nombreux mexicains. Sa fille, Alejandrina, ne cesse d’entretenir la flamme de la renommée glorifiant tant qu’elle le peut la figure paternelle. Faisant preuve d’un grand talent pour le marketing, elle est la fondatrice de la marque de vêtements El Chapo 701 qui tire son nom du classement Forbes 2009 plaçant El Chapo à cette même place dans la liste mondiale des milliardaires. C’est sous l’égide de cette marque que les colis sont distribués, lui accordant ainsi une immense visibilité.

Dans le sillage d’Al Capone

Mais la quête d’une image de marque n’est pas le seul objectif de ces distributions de colis. Se créer ou entretenir des réseaux, recruter de nouveaux sbires ou obliger les bénéficiaires à d’informelles contreparties sont les motivations principales de cette soudaine générosité. La recette est éprouvée et quasiment aussi ancienne que les organisations criminelles. 

En 1930, affaibli par les accusations portées à son encontre, Al Capone avait ouvert à Chicago une soupe populaire distribuant trois repas par jour. Dans les années 1980, Pablo Escobar avait à lui seul contribué à la rénovation de quartiers entiers de Medellin. Au Mexique, les cartels devraient aussi proposer, en plus de l’aide alimentaire, une aide financière ou des prêts aux commerçants endettés. Manière idéale de s’assurer une clientèle redevable, qui ne manquera pas de rembourser ces largesses par des services de toute sorte.

Le mois de mars le plus meurtrier depuis deux décennies

Mais l’arrivée du Covid-19 ne fait pas qu’avantager les cartels mexicains. Avec la fermeture des frontières, leur principale source de revenus se trouve singulièrement réduite. Le trafic de drogue ainsi restreint exacerbe les rivalités et les violences qui en découlent. Les mafieux semblent avoir le champ libre nécessaire pour cela, armée et garde nationale étant tout entières mobilisées par leurs missions sanitaires prioritaires. Même les fonds gouvernementaux dédiés à la lutte contre la criminalité ont en partie été réalloués à la lutte contre la pandémie. 

Le résultat est alarmant : le mois de mars 2020 a connu une recrudescence sans précédent des règlements de comptes, 2585 homicides ayant été enregistrés. Ce qui en fait le mois le plus meurtrier depuis vingt ans. L’avenir demeure lourd d’inquiétudes, la crise économique provoquée par la crise sanitaire ne pouvant être que favorable à l’essor des réseaux mafieux. Depuis le début de l’épidémie, le Mexique a enregistré 74.560 cas et 8134 décès, ce qui en fait le 6e pays le plus touché du continent américain ( NDLR : à la date du 27/05/2020). 

Sources des photos : w.com / espaces-latinos.org / sport.alaraby-media.net


La philanthropie mafieuse des cartels mexicains
Depuis le début de la pandémie, les cartels mexicains multiplient les gestes afin de séduire les populations défavorisées.
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