Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate
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Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate

Publié le 3 novembre 2014,
par VisionsMag.
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Rédacteur en chef du Washington Post durant l’affaire du Watergate, Benjamin Bradlee est une véritable icône du journalisme. Il est décédé le 21 octobre 2014. Son action à la tête du Washington Post laisse l’image d’un combattant acharné de la liberté de la presse. Une réputation que rien n’entache, y compris son passage par les services secrets américains.

« FBI finds Nixon aides sabotaged democrats » (le FBI a établi que Nixon a soutenu le sabotage des Démocrates), c’est par cette « Une » du 10 octobre 1972 que le Washington Post entre dans la légende du journalisme. Jamais article n’aura eu de conséquences aussi lourdes. Presque deux ans plus tard, le 9 août 1974, Richard Nixon, le président des Etats-Unis, est contraint de démissionner. Suite aux révélations du Washington Post, un procès a établi que son administration avait mené des opérations de sabotage afin de favoriser sa propre réélection.

Décoré par Obama

Bob Woodward et Carl Bernstein, les deux journalistes qui ont couvert l’affaire pour le Washington Post, rejoignent Emile Zola et son fameux « J’accuse » dans la légende du journalisme. Ils seront récompensés par le prix Pulitzer en 1973. Un autre homme va être auréolé de gloire : Ben Bradlee le rédacteur en chef du Washington Post. Il deviendra l’homme qui a résisté à toutes les pressions pour défendre la liberté de la presse ; une véritable icône.

Lorsque Ben Bradlee décède le 21 octobre 2014 à l’âge de 93 ans, toutes les salles de rédactions saluent l’œuvre d’un « homme libre ». Une distinction qui avait d’ailleurs pris un caractère officiel lorsque le 20 novembre 2013, le journaliste avait reçu des mains du président Obama, la médaille présidentielle de la liberté, « Presidential Medal of Freedom » (la plus haute distinction civile accordée aux Etats-Unis). Ben Bradlee a par ailleurs été fait chevalier la Légion d’honneur en 2007. Les louanges sont unanimes, pourtant la biographie de Ben Bradlee réserve quelques surprises, notamment un passage par les services secrets américains.

Expulsé de France

C’est en 1951, que Ben Bradlee est recruté par Franck Pace, le directeur du département à la défense, pour occuper un poste d’attaché de presse à l’ambassade des Etats-Unis en France. A l’époque, Ben Bradlee est un « petit » journaliste à 100 dollars la semaine, attaché à la chronique criminelle du Washington Post. Il est impatient de gravir les échelons du pouvoir. C’est sans hésiter qu’il fait ses bagages pour Paris. Dès 1952, il intègre l’ « Information and Educational Exchange » (USIE), une agence de renseignements qui, en lien avec la CIA, est chargée de la propagande US. Ben Bradlee doit « sensibiliser » les médias et les milieux culturels français à la cause des Etats-Unis. Il va ainsi travailler à restaurer l’image de son pays, écornée suite au scandale de l’affaire des époux Rosenberg.

Soupçonné d’espionnage pour le compte de l’URSS, le couple sera condamné à mort, puis exécutés le 19 juin 1953. En Europe, l’affaire fait grand bruit. Jean Cocteau, Marguerite Duras, François Mauriac, Gérard Philippe, Albert Camus, Jacques Prévert, et bien d’autres, appellent les Etats-Unis à la clémence. Ben Bradlee tentera d’étouffer l’incendie.

Mais son grand fait d’armes sera, en 1957, un reportage sur le FLN. Le Front de Libération Nationale est un mouvement indépendantiste algérien considéré par le pouvoir français comme une organisation terroriste. L’article est publié par le magazine Newsweek. C’est un scandale. Ben Bradlee est aussitôt expulsé de France. Deborah Davis, journaliste et historienne, soutiendra que l’article de Newsweek résultait d’une opération de renseignements destinée à déstabiliser le gouvernement français.

Intime du président Kennedy

Cet épisode ne doit cependant pas occulter le réel combat que Ben Bradlee mènera pour défendre l’indépendance de la presse. De retour aux Etats-Unis, c’est en 1961 que sa carrière décolle. A l’époque, il travaille pour le magazine Newsweek. C’est un journaliste en vue qui compte parmi les intimes de John Kennedy. Lorsqu’il apprend que Newsweek est à vendre, il prend son téléphone afin de convaincre Phil Graham, le propriétaire du Washington Post, de racheter le magazine. L’opération va bouleverser sa vie. Les actions du Washington Post, qu’il reçoit en paiement de ses services, font de lui un homme riche. Mais surtout, il devient l’un des personnages clés du journal. En 1965, Katharine Graham, la veuve de Phil Graham, le nomme à la tête du quotidien.

C’est là qu’il va forger sa légende. Le romancier américain Ward Just donne une description éloquente du personnage. « Rencontrer Ben Bradlee pour la première fois, écrit-il, c’est comme recevoir une balle de revolver ». L’homme impressionne. Un torse d’athlète, des bras de boxeur, la voix grave. Il arbore en permanence de luxueuses chemises Turnbull & Asser. Autre surprise, son langage, mélange de distinction bostonienne et d’argot des bas-quartiers.

L’apparence de Ben Bradlee résume sa vie. Ses bras musclés, son torse développé, lui viennent de la rééducation spartiate à laquelle il a dû se soumettre après avoir contracté la poliomyélite à l’âge de 14 ans. Ses bonnes manières désignent son ascendance. Né à Boston le 26 août 1921, Ben Bradlee est issu d’une vieille famille de la haute bourgeoisie américaine. Son plus lointain ascendant a mis les pieds sur le nouveau continent en 1631. La crudité de son langage est un souvenir de son passage dans la Navy en 1942. Il gardera de ses années de guerre un souvenir marquant, beaucoup plus que de ses études à Harvard. C’est notamment dans la Navy qu’il apprend à diriger les hommes.

Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate
Rédacteur en chef du Washington Post durant l’affaire du Watergate, Ben Bradlee est une véritable icône du journalisme. Il est décédé le 21 octobre 2014.
Mort de Benjamin Bradlee : l’homme du Watergate

Le prix de la liberté

Dès son arrivée à la tête du Washington Post, Ben Bradlee révolutionne le journal. A l’époque, le quotidien est une institution poussiéreuse. Il en fait le fer de lance de la presse d’investigation. Ses conférences de rédactions sont légendaires, notamment grâce aux formules fleuries qu’il emploie pour motiver ses troupes.

Son premier grand coup intervient avec la publication des « Pentagon Papers ». Un ensemble de documents top-secrets retraçant l’action des Etats-Unis afin de déclencher un conflit au Vietnam. Pour les américains, c’est une révélation. Le pays qui symbolise le monde libre montre autant de cynisme et de cruauté que son ennemi soviétique. Ben Bradlee n’est pas totalement satisfait par l’affaire. Son grand rival, le New-York Times, a réussi à lui griller la politesse en publiant les premiers extrais du document. Quelques mois plus tard, dans l’affaire du Watergate, c’est bien le Washington Post qui mène le bal… avec les conséquences que l’on connait.

Ben Bradlee est à l’image de l’Amérique de l’après-guerre : libre, impertinente, jeune, heureuse, mais aussi violente et trouble. En dépit de son travail de propagandiste, son action de patron de presse donnera ses lettres de noblesse au journalisme indépendant. Il confiera dans ses mémoires que, fervent patriote, c’était avec beaucoup de douleur qu’il voyait l’image de l’Amérique ternie par la guerre du Vietnam et l’affaire du Watergate. Mais si c’était le prix à payer pour rester libre, alors il n’y avait pas à hésiter.

Sources des photos: www.kdhamptons.com / www.timeslive.co.za / www.itele.fr