Rarement le changement à la direction d’une chaîne de télé aura autant créé la controverse. Ces dernières semaines, la prise de contrôle de Canal + par Vincent Bolloré a été suivie d’annonces qui ont bouleversé les PAF et mis en émoi téléspectateurs et professionnels de l’audiovisuel. La rumeur prédisant l’arrêt des Guignols de l’info a été le point culminent de ce remaniement. Mais le remplacement, tout début juillet, de Rodolphe Belmer alors numéro 2 de la chaîne, par Maxime Saada qui était son adjoint, est sans doute plus symptomatique de l’actuelle situation sur la chaîne cryptée.
La reprise en main de Canal + par Vincent Bolloré via Vivendi, c’est un peu la saga de l’été 2015 avec son lot d’intrigues et de trahisons. Tout a commencé le 1er juillet avec une rumeur qui s’est répandu comme une traînée de poudre sur Internet : Vincent Bolloré aurait décidé de supprimer les Guignol de l’info pour faire plaisir à son ami Nicolas Sarkozy. Les réseaux sociaux s’en emparent et immédiatement une pétition est lancée, elle récoltera plus de 100000 signatures !
« Les Guignols font partie du patrimoine de Canal + »
Deux jour plus tard, le vendredi 3 juillet, à l’issu d’un comité de groupe, Vincent Bolloré coupait court aux rumeurs : « « Les Guignols » font partie du patrimoine de Canal+ qui a été, je le rappelle, créé par Havas il y a 30 ans […] il est hors de question de se priver de cet atout qui est la propriété du groupe ». Si la nouvelle a permis d’apaiser la gronde des téléspectateurs, une autre décision a été prise lors de ce comité qui s’est révélé être un véritable conseil de surveillance.
Et cela pourrait avoir des répercussions bien plus fortes sur « l’esprit Canal » que la disparition des Guignols. En effet, Rodolphe Belmer, absent lors de cette réunion, a été démis de ses fonctions de directeur général et remplacé par son adjoint Maxime Saada. Ce changement à la direction générale était complètement inattendu tant Rodolphe Belmer avait le soutient du président de Canal +, Bertrand Meheut.
Plus d’1/2 milliard d’euros de bénéfice
En effet, ce dernier voyait en Belmer son successeur à la tête de la chaîne et rien ne semblait pouvoir le contredire car depuis sa prise de fonction à la tête de Canal +, Bertrand Meheut avait eu des résultats très positifs. A son arrivée en 2003 le groupe était au bord de la faillite, aujourd’hui il fait plus d’1/2 milliard d’euros de bénéfices. En octobre 2012 Meheut avait nommé Rodolphe Belmer directeur général avec l’objectif avoué de lui passer la main à la tête de la chaîne. Pourtant, le communiqué indique que c’est sur les recommandations de ce dernier que le remplacement a été décidé.
Selon toutes vraisemblances, Vincent Bolloré, qui est récemment devenu le principale actionnaire du groupe Canal + à travers Vivendi, y est pour beaucoup. Et la polémique suscitée par l’arrêt potentiel des Guignols trouve écho dans le changement à la tête de la chaîne. En effet, le nouvel homme fort de Canal + a la volonté de s’y impliquer beaucoup… bien plus en tous cas que ce que souhaiteraient les équipes en place. Courant juin, Bolloré et Balmer se sont rencontré une première fois pour évoquer l’avenir des Guignols. Plus tard, l’homme d’affaire breton s’est adressé à Maxime Saada en ces mots : « Au fait, la question des « Guignols », vous me la réglez ! Faut s’en débarrasser ». Fin juin, une nouvelle réunion avait lieux entre l’actionnaire et le DG, ce dernier mettant même son poste en jeu.
Rodolphe Belmer paye sans doute le prix de son opposition à Vincent Bolloré
Au final, l’émission satyrique reste mais à quel prix ? L’émission ne sera plus en clair et ses quatre auteurs ont été remerciés. Quant à Rodolphe Belmer, il paye sans doute le prix de son opposition à Vincent Bolloré… Et c’est donc Maxime Saada qui le remplace. Le nouveau directeur général a rejoint le groupe Canal + en 2004 en tant que directeur de la stratégie. En 2007 il devenait directeur de Canalsat, puis directeur commercial du groupe en 2009. Enfin, depuis 2012, il était directeur général adjoint. Saada a notamment à son actif le rapprochement Canal +-TPS ainsi que l’abonnement mensuel à 20€ pour regarder la chaîne cryptée sur son ordinateur.
Maxime Saada n’est donc pas un nouveau venu dans la maison Canal mais il a toujours été vu comme quelqu’un de discret. Il aura néanmoins fort à faire pour satisfaire Vincent Bolloré aussi bien en termes de programmation que de résultats financiers. Outre le changement de format pour les Guignols de l’info, le Grand Journal, l’émission-phare de la chaine depuis 2004, est passé à la trappe pour des coups de production. Et le développement de Netflix en France ne devraient définitivement pas faciliter la vie de Maxime Saada.
Bertrand Meheut pourrait ne pas conserver la présidence de Canal +
D’un point de vue interne, le nouveau DG devra faire ses preuves auprès de ses équipes, alors que le duo Meheut/Belmer fonctionnait plutôt bien. De plus, Bertrand Meheut pourrait ne pas conserver la présidence de Canal + très longtemps. Dans ce cas, Dominique Delport, président de Havas Media, et ami proche de l’actionnaire de Vivendi, est désormais pressenti. Ainsi, Rodolphe Belmer, que l’actuel président présentait comme son dauphin, est évincé de la course à la présidence de Canal + au profit d’un proche de Vincent Bolloré.
Le Guignols de l’info remaniés avec changement d’auteurs et de plage horaire, le Grand journal supprimé, Antoine De Caunes relégué à une émission hebdomadaire cryptée, Mathieu Belmer renvoyé… l’arrivé de Vincent Bolloré au sein du groupe Canal + aura pour le moins été spectaculaire. Mais il se pourrait que ce ne soit pas fini ! Depuis quelques jours l’homme d’affaire breton est soupçonné d’avoir censuré un documentaire mettant en cause le Crédit mutuel et son président, Michel Lucas, ami de Vincent Bolloré. Si cela s’avérait exact, Maxime Saada aura toutes les difficultés du monde à préserver ce qu’il reste de « l’esprit Canal ». A Tchao bonsoir…
Sources photos : lexpansion.lexpress.fr / enews-france.com / latribune.fr