Chaos Computer Club : les pontes du hacktivisme en Europe
Fondé au début des années 80, le Chaos Computer Club est aujourd’hui une référence dans le monde du hacking. Une légende qui a commencé… sur le minitel allemand
1984. Internet n’en est encore qu’à ses balbutiements : un terrain de jeu certes immense mais que seuls quelques initiés peuvent alors explorer. Pourtant, déjà à l’époque, un certain Wau Holland alerte sur les dérives liberticides dont pourraient abuser entreprises ou gouvernements via la généralisation de l’informatique. Il se lance alors officiellement dans le hacking éthique, et sa première grande action se fera sur le minitel allemand !
Avant Internet, il y avait déjà le CCC
Avec son comparse Steffen Wernéry, Wau Holland fonde officiellement le Chaos Computer Club (CCC) et organise en 1984 le premier Chaos Communication Congress en qui attire à l’époque une centaine de personnes. Près de 40 ans plus tard, ce rendez-vous annuel est probablement le regroupement de hackers le plus en vogue du monde !
Il faut dire que la même année, le duo entre dans la légende, et se fait connaître du grand public. En Allemagne, l’équivalent du minitel se nomme le BTX (abréviation de « Bildschirmtext »). En explorant le système, les deux hackers trouvent une potentielle mine d’or : une faille qui leur permet d’obtenir les données d’une banque d’Hambourg. Une vingtaine de lignes de code plus tard, le standard téléphonique de la caisse d’épargne appelle automatiquement la page du CCC. Chaque appel étant facturé 9,97 deutsche marks, les hackers obtiennent précisément 134.694,70 deutsche marks de la part de la banque pendant la nuit du 16 ou 17 novembre. Facile !
Beaux joueurs, ils rendent la somme dès le lendemain, juste après avoir organisé une conférence de presse pour présenter son hack et les failles du système.
Hacktivisme
Si ce « hack originel » est entré dans la légende, et fait légitimement la fierté du club, le CCC a depuis engrangé bon nombre de faits d’armes. Notamment, le Chaos Computer Club a largement influencé le système électoral allemand, en démontrant à plusieurs reprises les vulnérabilités dans les logiciels de comptage de votes, voire dans les machines à voter elles-mêmes. En 2006, le CCC parvient même à reprogrammer les machines utilisées par le gouvernement fédéral pour qu’elles jouent aux échecs ! En 2014, un autre membre arrive à reproduire l’empreinte digitale de la ministre de la Défense allemande uniquement à partir de photos diffusées dans la presse !
Plus récemment et en France, le Chaos Computer Club se rappelle aux bons souvenirs du public au moment de l’annonce du lancement de StopCovid, notamment en dressant une liste de recommandations visant à garantir le respect de la vie privée et la protection des données sur l’application.
Démonter pour démontrer
Il s’agit en effet de deux combats récurrents du CCC depuis sa création, aux côtés de la liberté de l’information et de la communication sans censure. Des objectifs qui peuvent rappeler ceux de La Quadrature du Net ou le Cnil, mais avec une approche que l’on pourrait juger plus « pro-active »… Là où les deux associations précitées étudient voire proposent des projets de lois, le Chaos Computer Club et ses membres hackent les systèmes pour en trouver les failles, et surtout les mettre en avant.
En somme, le CCC se considère comme une plateforme de rassemblements et de communication pour les white hats (« chapeaux blancs ») : des hackers éthiques qui avertissent les auteurs des vulnérabilités de leur systèmes, en opposition aux black hats qui les exploitent pour leurs bénéfices personnels.
Ainsi, la philosophie du Chaos Computer Club repose donc sur les principes énoncés par Steven Levy dans l’ouvrage L’Éthique des Hackers, que l’on peut résumer en 5 commandements majeurs :
1/ L’accès aux ordinateurs doit être universel et sans limitations
2/ Toute information doit être libre
3/ La décentralisation des pouvoirs et des informations doit être encouragée, et les autorités sont synonymes de méfiance
4/ Les hackers doivent être jugés selon leurs actions, et jamais en fonction de leur âge, diplôme, nationalité, sexe ou rang social.
5/ Les ordinateurs peuvent améliorer la vie
À noter que l’ouvrage est paru lui-aussi en 1984, l’année du hack du BTX par le Chaos Computer Club et de leur première conférence ! Un signe ?
Photos : kampnagel.de et badische-zeitung.de