Google, fondé en 1998 dans un garage californien par Larry Page et Sergueï Brin, est devenu depuis sa création bien plus qu’un moteur de recherche. Deuxième capitalisation boursière derrière Apple, la firme de Mountain View investit depuis des années dans de nombreux secteurs, et a racheté pas moins de 142 sociétés. A travers ces rachats, ces investissements, et les déclarations des cadres de l’entreprise, une tendance se dessine fortement, qui pourrait modifier en profondeur l’avenir de l’humanité. Pour le meilleur ou pour le pire.
Un avenir où les maladies, la douleur, la vieillesse et même la mort n’auraient plus cours. Un avenir où l’homme fusionnerait avec la machine, où ses capacités physiques et cérébrales seraient décuplées, créant une nouvelle étape dans l’évolution et faisant de l’homo-sapiens une relique d’un autre âge. Science-fiction, théorie New-Age et concepts fumeux ? Pas si sûr, et les dirigeants de Google, eux, y croient dur comme fer et dépensent des milliards de dollars pour y parvenir. Et si la « mort de la Mort » n’est pas pour tout de suite, les tenants du transhumanisme se réjouissent des progrès déjà accomplis.
La doctrine transhumaniste
Selon les transhumanistes, l’homme est un être perfectible, en perpétuelle évolution, et qui doit utiliser tous les moyens technologiques à sa disposition afin d’augmenter ses capacités tant physiques que cérébrales, ainsi que pour faire reculer maladie, vieillissement, et même parvenir à une forme d’immortalité. La convergence des technologies NBIC, regroupant les sciences des nanotechnologies (N), de la biologie (B), de l’informatique (I) et des sciences cognitives (intelligence artificielle et sciences du cerveau) (C), devrait permettre de parvenir à ces fins.
Développement de la doctrine
Prolongement du scientisme du XIXème siècle, mélangeant le matérialisme à l’idée que la science pourra assurer le bonheur de l’humanité, le transhumanisme est né dans les années 1950 aux Etats-Unis. Longtemps théorique, ce courant de pensée a néanmoins trouvé des bases solides avec les progrès de la science et de l’informatique au cours des années 1990. Un élan prodigieux lui a été donné en 2002, lorsque la National Science Foundation (NSF), qui est la plus influente des agences scientifiques fédérales, publie conjointement avec le département américain du commerce un rapport intitulé « Technologies convergentes pour l’amélioration de la performance humaine » . Un véritable lobby transhumaniste a depuis tissé sa toile, particulièrement actif en Californie, et qui prône l’usage des NBIC afin de changer l’avenir de l’humanité. Des défenseurs de cette doctrine se retrouvent au sein d’agences gouvernementales telles que la NASA et le DARPA , mais aussi parmi de grandes sociétés privées, comme Cisco ou Nokia. Sans omettre la plus puissante et la plus investie dans l’idéologie transhumaniste : Google.
Ray Kurzweil, personnage clé du transhumanisme
Le transhumanisme suscite depuis de nombreuses années l’intérêt des fondateurs de Google, Larry Page et Sergueï Brin. Dès 2008, leur société sponsorise massivement l’Université de la Singularité, fondée par Ray Kurzweil, chargée de la formation des spécialistes des NBIC et de la diffusion de leurs travaux. Officiellement, Google déclare avoir versé plus de 250 000 dollars à l’université, et plusieurs employés auraient effectué des dons supérieurs à 100 000 dollars. En 2012, Ray Kurzweil a été embauché par Google pour occuper le poste d’ingénieur en chef, en charge du développement de l’intelligence artificielle. Porte-parole et chantre de la doctrine, ingénieur, écrivain, informaticien et inventeur, Ray Kurzweil, 66 ans, estime que la durée de vie moyenne sera prolongée de dix à vingt années supplémentaires d’ici 2045. L’intelligence artificielle sera amenée, toujours selon lui, à devenir plus performante que l’intelligence humaine, et ces progrès devraient aider l’homme à trouver des solutions afin de prolonger l’espérance de vie. A terme, l’immortalité même devrait devenir accessible. Il suffirait de « télécharger » l’esprit sur un support numérique inaltérable, affranchissant ainsi l’homme de ses contraintes biologiques.
23andMe et Calico, du séquençage ADN à l’immortalité
Parallèlement à l’Université de la Singularité, Google a aussi investi les domaines de la biotechnologie et de l’analyse génétique avec la société 23andMe, cofondée en 2006 par Anne Wojcicki, épouse de Sergueï Brin. Moyennant finances, l’entreprise propose à ses clients de séquencer leur ADN afin de dépister des maladies héréditaires potentiellement dangereuses. En 2013 est créée, toujours sous l’égide de Google, la société de biotechnologies Calico, chargée d’effectuer des recherches sur le vieillissement et les maladies associées. Se donnant pour mission d’augmenter l’espérance de vie et de lutter contre la mort, l’entreprise a à sa tête Arthur D. Levinson, président de Genentech, et membre cofondateur de l’Université de la Singularité.
L’homme augmenté, une réalité tangible
En rajoutant à cela les recherches effectuées sur l’intelligence artificielle, ainsi que les récentes acquisitions des entreprises les plus innovantes dans le domaine de la robotique, Google contrôle les secteurs majeurs contribuant à une amélioration de l’humain. Cette amélioration, toutes sociétés confondues, est déjà palpables au-delà des espérances. Les prothèses « hi-tech » utilisées pour les personnes amputées, dont la recherche a été stimulée par les nombreux soldats mutilés en Afghanistan, permettent d’accroitre les performances physiques. Les exosquelettes sont une réalité et sont utilisés par les soldats américains sur le théâtre des opérations. Un tétraplégique a pu contrôler un ordinateur par la pensée. Des malades souffrant de la maladie de Parkinson ont pu, grâce à un implant dans leur cerveau, retrouver une mobilité satisfaisante, et des aveugles peuvent dorénavant discerner des formes. Pour le grand public, des bracelets connectés fournissent des informations sur les données vitales de l’utilisateur. Pour Laurent Alexandre, chirurgien, fondateur du site Doctissimo et président de la société DNA Vision, « l’homme qui atteindra mille ans est déjà né. Quelqu’un qui nait aujourd’hui n’aura que 86 ans en 2100, et va bénéficier de tous les progrès biotechnologiques du XXIème siècle, et donc va vivre déjà jusqu’en 2150-2200, et va bénéficier de tous les progrès du XXIIème siècle, et ainsi de suite. Il est donc très probable que l’homme qui atteindra 1000 ans soit déjà né » .
L’avancée de Google
A l’heure actuelle, Google peut déjà, par une analyse des recherches, dépister une épidémie avant les réseaux médicaux étatiques. Avec ses Google Glass, lunettes connectées et dotées d’une caméra, l’utilisateur sera constamment relié à internet, bénéficiant d’une forme d’extension de sa mémoire et d’un accès immédiat à l’information. Les Google Cars, véhicules sans chauffeur et bardés de capteurs, contribuerons à une réduction drastique des accidents de la route. Quant à la robotique, des usages industriels et domestiques sont prévu, mais les recherches permettent aussi d’utiliser cette science pour créer des membres artificiels.
Pourquoi Google prend-il une telle direction ?
Plusieurs raisons expliquent les orientations de Google. La médecine devenant une science de l’information, il est donc logique que la firme investisse dans ce domaine et utilise ses compétences en matière de collecte et de traitement des données. De plus, le rôle de l’intelligence artificielle pour interpréter ces données s’avère décisif, et Google est à la pointe du progrès dans ce domaine. Les raisons sont aussi financières : la santé est un des secteurs les plus prometteurs pour ces prochaines années, il est donc logique que Google y soit présent.
De manière plus suggestive, la Californie est la patrie des sciences alternatives et du New-Age, et les dirigeants des grandes sociétés informatiques sont souvent sensibles à ces courants de pensée. Enfin, les deux fondateurs de l’entreprise doivent faire face à des problèmes de santé qui, rajoutés au traumatisme suscité par la disparition de Steve Jobs, ont motivé le choix de telles stratégies. Sergueï Brin a appris, en faisant analyser son ADN par 23andMe, qu’il avait de très fortes chances de développer la maladie de Parkinson. Quant à Larry Page, il souffre d’une maladie rare des cordes vocales.
Controverses liées au transhumanisme
Quasiment tout le monde souhaiterait s’affranchir de la souffrance et de la dégénérescence physique et mentale. Néanmoins, la doctrine transhumaniste suscite de vives critiques et pourrait être amenée à générer de nombreux problèmes à la fois éthiques, religieux et sociétaux. L’aspect messianique de la doctrine peut choquer. On lui reproche aussi d’être un concept fabriqué par les entreprises avides de publicité et de crédits publics, sans aucun fondement scientifique. De plus, un fossé irréversible se creusera entre les personnes améliorées, dont les conditions physiques et mentales seront décuplées, et les personnes n’ayant pas le désir ou les moyens de subir une quelconque modification. Pour le philosophe Jean-Michel Besnier : « On est en train de préparer une humanité à deux vitesses. La fracture ne sera plus entre le nord et le sud, mais au sein même des sociétés ». Tous les systèmes de santé seront à revoir, et à réinventer . Les progrès des NBIC font aussi craindre des manipulations génétiques dès avant la naissance, permettant la création d’enfants sur mesure. Quelles en seront les conséquences pour la biodiversité humaine ? Enfin, le transhumanisme est vivement critiqué par la religion catholique .
Signaux d’alarme
Qu’une société privée se créée une situation de quasi-monopole sur les technologies de pointe liées à la santé peut susciter l’inquiétude. Un tiers des savants spécialisés en intelligence artificielle travaillent pour Google. La maitrise de l’intelligence artificielle permet de contrôler tous les secteurs technologiques actuels. En montant ainsi en puissance, la firme pourrait devenir plus puissante que les états. Pour Laurent Alexandre, il est urgent de s’interroger sur l’avance prise par Google, et les technologies déployées par la société californienne devraient selon lui être encadrées afin d’éviter tout dérapage. Pour le moment, le seul comité d’éthique chargé d’une réflexion sur la politique de Google a été créé par Google, au sein de Google.
Et demain ?
D’ici quelques années, Google pourrait être leader dans les domaines de la santé et des transports. Des extensions de mémoire pourraient être greffées dans le cerveau, et les Google Glass seront remplacées par des verres de contact. L’homme bionique sera une réalité, et Ray Kurzweil prévoit un développement exponentiel de l’intelligence artificielle, calquée sur la loi de Moore . Quels que soient les projets de Google, l’entreprise a les moyens de les soutenir grâce à ses 39 milliards de profit annuel, lui permettant d’effectuer les acquisitions nécessaires à sa vision et de recruter les personnes les plus compétentes dans leur domaine. L’homme de demain, le « post-humain », est déjà né. Et selon toute vraisemblance, il fonctionnera grâce à Google.
Sources photos: www.ensci.com / www.img.over-blog-kiwi.com / www.blogs-images.forbes.com / www.idg.bg /
- Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Laurent Alexandre
- On l’on peut lire : « l’ingénierie de l’esprit est une entreprise qui se révélera au moins aussi techniquement difficile que les programmes Apollo ou Génome humain. Nous sommes convaincus que les avantages pour l’humanité seront équivalents, sinon supérieurs. La compréhension de la manière dont fonctionnent l’esprit et le cerveau apportera des avancées majeures en psychologie, en neurosciences et en sciences de l’éducation ».
- Defense Advanced Research Projects Agency
- Entretien diffusé sur BFM TV le 26/02/2014.
- Chacun pourra connaitre son patrimoine genetiques : qu’adviendra-t-il des personnes dont les genes dévoilent un risque ? Pourront-elles toujours s’assurer, et à quel prix ?
- Une déclaration du Vatican de 2002, intitulée « Communion et service, les personnes humaines créées à l’image de Dieu » stipule que « changer l’identité génétique de l’homme, en tant que personne humaine, par la production d’un être infra-humain est radicalement immoral ». En outre, « la création d’un surhomme ou d’un être spirituel supérieur » est « impensable »
- Loi qui a trait à l’évolution de la puissance des ordinateurs et de la complexité du matériel informatique.