Le streaming est-il l’avenir du disque français ?
Après onze années de vaches maigres, le marché français du disque est repassé dans le vert en 2013. Si l’heure est à l’optimisme, le secteur de la musique enregistrée n’en est pas pour autant tiré d’affaire. Car, dix ans après la démocratisation massive de l’Internet, les professionnels n’ont toujours pas réussi à bâtir un nouveau modèle, durable et rémunérateur. Si le téléchargement a longtemps fait office de favori pour succéder au disque compact, il semblerait que le streaming soit en train de le coiffer au poteau, tandis que le CD fait de la résistance. Retour sur une industrie qui n’en finit pas de se réinventer.
Alexandre Bompart y pensait depuis un certain temps ; mais il aura fallu attendre le 2 mars 2014 pour que la Fnac prenne enfin le train en marche et lance Jukebox, son offre de streaming payant. Pour 2 euros par mois, les abonnés peuvent écouter 200 titres en illimité et sans publicité ; et s’ils ajoutent la modique somme de 2,99 euros, ils ont accès à l’ensemble du catalogue de l’enseigne. Soit plusieurs millions de chansons.
La fin des années noires ?
Que la Fnac se mette au streaming après avoir abandonné son service de téléchargement en ligne en 2012, voilà qui n’a surpris personne. Cela montre une nouvelle fois que le marché du disque – ou de la « musique enregistrée », comme disent les professionnels – n’en finit plus de poursuivre sa mue et qu’il n’a toujours pas réussi à bâtir un modèle qui soit à la fois pérenne et rémunérateur.
L’enjeu est d’importance, car, en onze ans, la part du gâteau musical s’est réduite comme peau de chagrin. En 2002, les professionnels du disque brassaient des milliards. Depuis, Internet s’est démocratisé, modifiant en profondeur les habitudes de consommation et favorisant l’émergence de formes numériques de piraterie artistique.
Bilan : en une décennie, le secteur du disque a subi une véritable hémorragie, perdant plus de la moitié de sa valeur. Comme l’a rappelé en février Stephan Bourdoiseau , le président de l’UPFI, « les années 2010-2016 seront les années les plus basses du marché de la musique enregistrée et représenteront un volume d’affaires équivalent à environ 30 % de ce qu’il était en 2000-2002 ».
Stromae tire le marché du disque vers le haut
Face au rouleau compresseur du numérique, ce sont les CD et les DVD qui ont le plus souffert. En 2002, les majors vendaient 150 millions de disques dans l’hexagone ; onze ans plus tard, ils n’en écoulent plus que 40 millions…
Et encore, les spécialistes s’accordent à dire que 2013 fut une année particulièrement bonne ! Pour la première fois depuis une décennie, les ventes physiques sont en effet repassées dans le vert, augmentant de 1 % sur l’année . Augmentation médiocre certes ; mais, pour les professionnels, ça a été un véritable bol d’air. Car même si la pompe s’est tarie, les CD restent la vache à lait de l’industrie du disque qui en tire encore 61 % de ses revenus .
Las ! Les experts sont formels, l’accalmie sera de courte durée. 2013 est sorti du lot parce qu’il y a eu Stromae . Lequel a fait office de locomotive version « double diamant ». Son album Racine Carrée s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en seulement quatre mois. Ça n’était plus arrivé depuis la sortie de la bande originale des Choristes. C’était en 2004…
Surtout, le maestro belge n’est pas le seul à avoir fait mouche l’an dernier . Daft Punk et le rappeur Maître Gims (Sexion d’Assaut) ont eux aussi mis les bacs en ébullition. Leurs albums respectifs – Random Access Memories et Subliminal – ont remporté les suffrages des mélomanes hexagonaux et ils ont vendu plus de 500 000 albums chacun. Quand on sait qu’en plus, Zaz et David Guetta ont fait un tabac à l’international, on comprend que l’année 2013 fut un grand cru comme on en fait peu.
Quel numérique ?
En ce début d’année, l’euphorie n’est pas retombée et l’optimisme reste de rigueur. Il n’empêche que le secteur est sous pression et doit continuer de diversifier ses canaux de distribution pour mieux toucher ses publics et gagner de l’argent. Et, qu’on se le dise, la tâche sera ardue !
Si aujourd’hui tous les espoirs se tournent vers le numérique, les jeux ne sont pas faits pour autant. La musique en ligne ne représente que 26 % des revenus du marché. Un résultat plutôt décevant au regard des investissements réalisés… En particulier, le téléchargement sur lequel les majors misent depuis dix ans montre déjà des signes d’essoufflement. En 2013, il représentait encore 50 % des revenus numérique du secteur ; mais il était en recul de 1,1 point.
Pascal Nègre, le P-DG d’Universal, a beau faire le pari de la reprise en 2014 ; il y a de quoi se poser des questions. iTunes , le leader incontesté du marché, a en effet été frappé de plein fouet par le recul de l’iPhone, auquel il est intrinsèquement lié. Surtout, il subit la concurrence croissante de l’iPad et autres tablettes, dont la popularité va pour la énième fois rebattre les cartes en créant de nouveaux usages parmi les mélomanes.
Pas étonnant donc que la Fnac se lance dans l’aventure du streaming et que TF1 et Radio France y réfléchissent eux aussi sérieusement . Car, dans ce paysage très sombre et toujours aussi incertain, c’est pour ainsi dire la seule lueur d’espoir ; et tous les professionnels du disque ont envie d’y croire ! Il faut dire que le modèle est attractif. Pour les internautes, ça leur permet d’avoir accès à des milliers de titres à un prix tout à fait raisonnable ; et, pour ceux qui ne voudraient pas s’abonner, ils peuvent quand même écouter leurs morceaux préférés entre deux publicités. Dans tous les cas, c’est une nouvelle source de revenus pour les producteurs et les artistes.
Le streaming : réalité ou illusion ?
Il ne faut pas se leurrer, néanmoins ; le streaming est encore une goutte d’eau dans l’océan musical hexagonal. Deezer et Spotify qui ont été les premiers à se lancer revendiquent en France 1,4 millions d’abonnés payants , ce qui représente seulement 35,8 millions d’euros. Mais comme c’est un segment en croissance (+3,5 % en 2013), qu’il représente 43 % des revenus numériques du secteur et qu’en plus, il contribue à détourner les internautes des tentations du téléchargement illégal (-30 % depuis 2011), les majors ne tarissent plus d’éloges à son égard.
D’ailleurs, en mobilisant sa machine de guerre marketing et en assurant la promotion de son Jukebox auprès de ses 3,5 millions d’adhérents, la Fnac devrait contribuer à donner au streaming ses lettres de noblesse. Quand on sait qu’en Suède, 2 millions de personnes paient leur abonnement chaque mois , on se dit qu’en France où ce modèle n’est pas encore très connu, les potentialités de développement sont énormes.
Il y a tout de même un bémol à ce beau tableau ; et il est de taille. Pour le moment, le streaming ne rapporte pas grand-chose à ceux qui vivent de la musique . Ecouté plus de 37 millions de fois sur Deezer et Spotify, Racine Carrée a rapporté entre 20 000 et 30 000 euros de royalties à Stromae. Ce n’est pas faramineux ; mais, pour la plupart des artistes, c’est un objectif impossible à atteindre. Autre exemple : en 2011, Shaka Ponk, un groupe de rock expérimental français, sort The Geeks and the Jerkin’ Socks. En trois ans, il sera écouté plus de 6 millions de fois sur Spotify, ce qui est un résultat plus qu’honorable. A la plateforme, le titre ne rapportera pas plus de 2 800 euros mensuels. Quant à Shaka Ponk, il ne récupèrera que 350 euros par mois, à partager entre les six membres du groupe.
Pas de quoi sauter au plafond donc…
Source des photos :www.m.culturebox.francetvinfo.fr /www.musique.jeuxactu.com / www.forums.cnetfrance.fr