Lucia Topolansky, de la guérilla à la vice-présidence
En 2009, José Mujica accédait à la présidence de l’Uruguay. Si la personnalité de cet homme politique atypique a depuis fait couler beaucoup d’encre, celle de sa femme, Lucia Topolansky, se révèle être tout aussi singulière. Sa nomination, le 13 septembre dernier, à la fonction de vice-présidente marque une nouvelle étape dans une carrière politique exceptionnelle à bien des égards.
Des bonnes sœurs à la lutte armée
Rien, a priori, ne destinait Lucia Topolansky à la lutte armée. Cadette, avec sa sœur jumelle, d’une fratrie de sept enfants, la jeune Lucia bénéficie des privilèges d’une famille aisée qui lui imagine une vie toute tracée. Vivant dans le quartier chic de Pocitos qui borde la plage de Montevideo, Lucia se rend tous les jours de la semaine au collège du Sacré-Cœur des sœurs dominicaines et entame, après l’obtention de son bac, des études d’architecture qu’elle abandonnera vite au profit d’un engagement politique sans concession.
Déjà sensibilisée aux problèmes sociaux et aux inégalités qui gangrènent l’Uruguay des années 1960, Lucia Topolansky trouve à l’université Alfredo Vásquez Acevedo une effervescence militante dans laquelle elle s’engouffre tout entière. Après l’arrêt de ses études, elle obtient un poste dans une banque, la Monty Financial House. Découvrant toute une série de malversations financières, la jeune employée tente d’en informer la presse et les institutions, sans parvenir à susciter leur intérêt. C’est alors qu’elle prend une décision d’une audace singulière.
Attaque de banque et évasion par les égouts
Tant pis si les autorités de régulation financière ferment les yeux sur les agissements de la « Monty » : Lucia Topolansky fera justice par ses propres moyens. Recevant le renfort de quelques amis appartenant au groupe rebelle des Tupamaros, un assaut armé est organisé contre la banque, au cours duquel sont dérobés des documents compromettants ainsi qu’une forte somme d’argent. Lucia, qui prend alors le pseudonyme d’Ana, rentre de plain-pied dans la clandestinité en ce jour du 14 février 1969. S’ensuit une année de cavale, ponctuée de coups d’éclats, durant laquelle elle entame une idylle avec un compagnon de lutte nommé José Mujica.
Mais les faux documents, les cheveux teints et les lunettes n’empêchent pas l’arrestation de la militante, qui est emprisonnée à la prison pour femmes de Cabildo. Loin de baisser les bras, elle élabore un plan d’évasion qui permettra à 38 autres détenues de quitter la prison par les égouts. Célébrée comme une héroïne par les Tupamaros, Lucia Topolansky est pourtant de nouveau arrêtée quelques mois plus tard.
13 années de détention pour Lucia Topolansky
Les treize années qui vont suivre seront les plus dures de sa vie : torturée, détenue dans des conditions insupportables, la maquisarde n’en reste pas moins fidèle à ses engagements. Ce qui force le respect de ses codétenues qui la surnomment « Le tronc » pour ses opinions inébranlables malgré les pressions. Des pressions qui s’intensifient après l’arrivée au pouvoir d’une dictature militaire en 1973. Ce n’est qu’après la chute de cette dictature, en 1985, que Lucia Topolansky est libérée à la faveur d’une loi d’amnistie.
Renouant avec José Mujica, qui était lui aussi emprisonné, Lucia Topolansky reprend le combat politique dans un pays encore sous la tutelle de l’armée et dont le libéralisme politique va à l’encontre de ses idéaux. Elle participe à la fondation du Mouvement de participation populaire (MPP) avec d’anciens Tupamaros, et prendra bientôt la tête de ce parti qui rejoint en 1989 le Front large rassemblant toutes les gauches uruguayennes. L’ancienne guérillera est devenue tour à tour députée, sénatrice, puis Première dame après l’élection de José Mujica, qu’elle a épousé en 2005. Le 13 septembre, l’Assemblée générale vote en sa faveur pour succéder au vice-président Raúl Sendic, faisant de Lucia Topolansky la première femme à accéder à ce poste dans son pays. Son seul échec politique eut lieu en 2015, lorsqu’elle ne parvint pas à conquérir la mairie de Montevideo.
Une personnalité hors-norme
Lucia Topolansky partage avec son mari le même goût pour la simplicité, et leur train de vie est bien éloigné de celui auquel leurs fonctions leur donneraient droit. Durant la législature de celui que le peuple a surnommé affectueusement « Pepe Mujica », le couple a tenu à demeurer dans la petite maison de Lucia, fuyant les ors du palais présidentiel. C’est là, au bout d’une piste en terre-battue, au milieu des fleurs et des chiens, que les deux anciens Tupamaros vivent, sous la protection de deux gardes du corps. Car la nouvelle vice-présidente, très populaire, ne fait néanmoins pas l’unanimité dans tout le pays. Les conservateurs ne se privent pas de décrier son action, rappelant que durant sa période Tupamaros, Lucia était aux premiers rangs lorsqu’il s’agissait de prendre les armes.
Un passé que l’intéressée ne renie pas, mais sur lequel elle revient difficilement. La vice-présidente, âgée de 73 ans, préfère se concentrer sur le seul présent et, pourquoi pas, sur une future candidature à l’élection présidentielle de 2019. Rien, avec elle, ne semble impossible.
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