Jean-Pierre Jouyet, l’entremetteur de l’Etat et des patrons
Jean-Pierre Jouyet, grand commis de l’Etat, ami de François Hollande et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, est prédisposé à naviguer habilement entre les récifs de droite et de gauche de la vie politique.
Un parcours classique de la méritocratie française
Jean-Pierre Jouyet est bas-normand par son père et basque espagnol par sa mère. Cette alliance a produit un être complexe, voire paradoxal, mêlant réserve et fougue. Il se décrit lui-même avec cette ambivalence : « Je suis modéré dans mes idées et emporté dans mes propos ».
Jean-Pierre Jouyet aligne tous les symboles d’un parcours d’élite à la française : études à Sciences Po, diplômé de l’ENA. Ses proches le décrivent comme un ardent défenseur de l’intérêt général, doté de grandes capacités d’analyse et expert de la sphère financière. Pur produit de la méritocratie républicaine, son parcours est celui d’un grand serviteur de l’Etat. Nommé à l’Inspection générale des finances, il occupera de nombreux postes au sein des cabinets ministériels (auprès de Roger Fauroux, ministre de l’Industrie, auprès du Premier ministre Lionel Jospin) ou auprès du président de la Commission européenne Jacques Delors. Il sera directeur du Trésor jusqu’en 2004.
Un serviteur de l’Etat qui résiste aux alternances politiques
Jean-Pierre Jouyet cultive les paradoxes dans son engagement politique. Issu d’une famille de droite, gaulliste, il se veut d’inspiration socio-démocrate. Il fut l’un des animateurs du groupe les Gracques, association lancée par des personnalités engagées à gauche, anciens membres de cabinets ministériels de gauche ou acteurs de la société civile (chefs d’entreprises, intellectuels…). Leur objectif : contribuer à la modernisation intellectuelle de la gauche française, à l’instar de ce qui s’est produit partout en Europe. En résumé, passer d’une gauche archaïque à une gauche réformiste, réconciliée avec l’économie de marché.
Cette pensée politique proche du social-libéralisme explique le parcours de Jean-Pierre Jouyet cette dernière décennie. Il signe, durant la campagne présidentielle de 2007, un appel des Gracques à une alliance PS-UDF. En mai 2007, il devient secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes dans le gouvernement Fillon. En 2008 il est placé à la tête de l’Autorité des marchés financiers par le président de la République Nicolas Sarkozy. Sous le quinquennat Hollande, il est nommé directeur général de la Caisse des dépôts et consignations avant de devenir, en avril 2014, secrétaire général de l’Elysée.
Quand Jean-Pierre Jouyet repère Emmanuel Macron
Son entregent amène Jean-Pierre Jouyet à détecter au sein des cabinets ministériels, les hommes et femmes issus de l’écurie ENA susceptibles de devenir de grands patrons des entreprises privées ou publiques. Jouyet a été membre du Conseil d’administration du Siècle, association réputée et très sélective des élites politiques, économiques et médiatiques de France. Plus encore, il fut président de l’institut Aspen France qui sélectionne les « Young Leaders » à travers un programme de séminaires de développement du leadership pour la génération émergente des hommes et femmes politiques qui a vocation à occuper les postes de responsabilité dans la conduite des affaires publiques de notre pays au cours des années à venir.
Jean-Pierre Jouyet est donc un entremetteur réputé et méthodique. C’est lui qui repérera Emmanuel Macron, jeune inspecteur des finances, passé par le métier de banquier d’affaires chez Rothschild, pour lui faire intégrer le cabinet du président Hollande en qualité de Secrétaire général adjoint entre 2012 et 2014. Macron sera ministre de l’Economie et de l’Industrie de 2014 jusqu’à ces dernières semaines. Jean-Pierre Jouyet, grâce à la même « couveuse ENA-Inspection des finances », sera un soutien constant d’Alexandre Bompard dans son parcours de grand patron : Canal +, Europe 1 et désormais la Fnac.
Autre exemple récent de l’influence de Jean-Pierre Jouyet : la nomination du nouveau patron d’Air France, Jean-Marc Janaillac, issu de la promotion Voltaire à l’ENA comme Jouyet et Hollande.
Jean-Pierre Jouyet, est l’archétype du serviteur de l’Etat, doté d’un sens aigu des rapports humains, capable de détecter parmi les jeunes élites issus des grandes écoles de la haute fonction publique, celles qui pourront faire partie des exécutifs d’entreprises privées ou publiques. Mais Jean-Pierre Jouyet, à l’instar d’Alain Minc par exemple, est aussi l’un des derniers représentants d’une forme de dévoiement du mode de recrutement des élites politico-administratives. En effet, une certaine reproduction sociale est à l’œuvre tournant à l’entre-soi, tant sont surreprésentés les parcours ENA-Inspection des finances avec le risque de dérives nées des pratiques du pantouflage, et des allers-retours entre privé et haute fonction publique.
Sources des photos : leblogfinance.com / closermag.fr / sudouest.fr